La certitude du doute
Texte de Robert Bernier
Shirley WegnerFarideh Cadot Associés
7 Rue Notre Dame de Nazareth, 75003 Paris, France
+33 1 42 78 08 36
faridehcadot.com
Un des aspects parmi les plus fascinants de l’expression [et de l’expérience] artistique, toutes disciplines confondues, est la révélation. Celle, par exemple, des rapports ténus entre la réalité et l’imaginaire. Notions fondamentales de la vie que notre vision dualiste nous montre comme des entités opposées. Pourtant…
L’insaisissable présent
L’art nous permet de capter l’insaisissable présent. Celui qui nous condamne au souvenir, cette trace du vécu [immédiat] devenue aussitôt une notion de l’esprit prise dans les filets du temps. Nous sommes des être indéfinis vivant dans l’approximation. L’art nous rappelle que les vérités se révèleront à nous à travers l’illusion… Par évocations et par strates, jamais d’un seul bloc et d’une seule manière. Le réel, l’imaginaire, le maintenant, le demain et l’hier, sont autant de mystères que notre exploration sensorielle, intuitive et cognitive [individuelle et collective] nous amène à décoder… et, par la force des choses, à nous fabriquer un monde dans le monde.
Traverser la conscience de l’être
Le travail de Shirley Wegner a été pour moi le déclencheur d’un grand choc. Une révélation esthétique et ludique. J’ai été immédiatement séduit par son ingéniosité, sa dextérité et sa capacité à lier à sa pratique artistique cette conscience de l’être [personnelle comme sociétaire]qu’elle exprime dans un contexte philosophique aux fortes empreintes politiques, à travers les souvenirs et le regard de son enfance.
De Tel Aviv à New York
Shirley Wegner est née à Tel Aviv, en Israël. Elle vit et travaille à New York depuis plus de dix ans. Son parcours éloquent est ponctué de plusieurs expositions individuelles et de groupes à travers le monde, dont la plus récente, en solo, à l’automne 2013, se tenait chez Farideh Cadot Associés, à Paris. Son travail se décline en plusieurs médiums, de l’installation in situ à la photographie [de paysages construits] en passant par des œuvres sur papier. Plusieurs éléments caractérisent son approche et sa démarche, mais tous gravitent autour d’un pôle d’intérêt, sa mère patrie, Israël. En fait, le vrai sujet est le souvenir.
Le souvenir de l’enfant
Les œuvres qui ont d’abord retenues mon attention sont ses photographies. Le processus qui les amène est des plus singuliers. Elle construit littéralement des paysages en trois dimensions avec des matériaux divers : broches, ouate, tissus, etc. Des toiles de fond, des éclairages aussi. En somme, elle met en scène des situations chaotiques avec beaucoup d’invention. Le résultat est saisissant. Pourtant, elle ne cherche pas l’illusion parfaite. Au contraire. Les fils pendent, les matériaux laissent paraître leur nature propre bien en évidence. Elle crée ainsi des visions ambiguës tenant à la fois de la réalité physique et de l’inévitable interprétation. D’ailleurs, son approche repose beaucoup sur l’illusion qui n’en est pas moins révélatrice d’une gamme d’émotions riche en nuances et bien réelles. Ses œuvres constituent autant de jeux de mémoire où l’univers de l’enfant côtoie celui d’un monde extérieur brutal pour certaines séries et plutôt poétique pour d’autres.
Une approche picturale
Une fois la construction du paysage complété, elle le fait photographier. Ce n’est jamais elle qui fait ce travail, peut-être parce qu’elle se voit avant tout comme une observatrice de son propre univers, dont le paysage israélien en est lui, l’acteur. Cette façon de faire a pour conséquence de laisser de la place à l’autre, à l’inévitable réappropriation du regardeur.
Cette transposition de la troisième à la deuxième dimension renforce l’esprit pictural déjà bien présent dans la démarche de l’artiste. En effet, Shirley Wegner pense comme un peintre quand elle construit et la prise de vue représente [au sens propre comme au figuré] la trace, le souvenir d’un vécu émotif et cognitif avec toutes ses imperfections, certes, mais aussi de sa puissance d’évocation. Ce n’est pas le réel qui importe ici mais plutôt sa trace dans l’être qui y a été confronté comme elle l’affirme dans une entrevue pour le New York Arts Magazine, « la construction et l’illusion sont indissociables. » Le pivot de sa création demeure ses souvenirs d’enfance avec toute la proximité et la distance que cela suppose.
L’antinomie révélatrice
Ainsi, quand vous regardez une de ses photographies vous êtes bombardé par une multitude de sentiments, de visions, de perceptions et de réflexions contradictoires, à tout le moins semblant s’opposer, car en réalité ils se répondent. Ce sont eux qui par addition débusquent des parcelles de vérités et amènent notre lecture vers de multiples ailleurs.
Le travail de Shirley Wegner s’exprime par le doute et la lucidité. Et c’est pour cette raison que son expression résonne autant dans notre être entier.
Le site Web de l’artiste ici
Le site de Farideh Cadot Associés ici