Issu des gospel des noirs américains, nourri de l’apport du ragtime européen puis du blues, le jazz est une musique changeante se nourrissant constamment des multiples influences qu’elle rencontre. La peinture de Serge Lavigne se définit de façon semblable : évolutive, diverse, métissée, difficile à définir… comme le jazz dont il se sert d’ailleurs comme source d’inspiration. « Je peins toujours sur des airs de jazz. »
Lavigne – qui fut tour à tour notaire, éditeur puis agent immobilier, a commencé à peindre quand il a pris sa retraite, se formant en trois sessions au Centre Saydie Bronfman. Au début des années 2000, il rencontre par hasard le peintre et auteur Pierre Gauvreau, un des signataires du Refus global décédé en avril dernier. Il lui présente alors ses œuvres et se sent vivement encouragé par la réaction positive du maître. Il choisit alors de se lancer en tant qu’artiste.
Tout comme le jazz est caractérisé par son swing, les œuvres de Lavigne empruntent à son rythme entrainant. Syncopes et contretemps se succèdent dans ses œuvres abstraites, créant une superposition de plans et une rencontre rythmée, soit de couleurs énergiques, soit du noir et blanc.
L’improvisation, processus typique du musicien de jazz, est aussi une marque de fabrique de Lavigne : « Je me sers de la spontanéité de mon geste, en ne sachant pas où la créativité du moment va me mener. Un format de toile s’impose à moi, avant même que j’ai commencé à peindre. Puis une première couleur m’appelle que j’applique par impulsion. Ensuite je reste simplement attentif à l’accident qui va se produire sous mes yeux. »
Ensuite, toujours à la manière des musiciens de jazz qui chiffrent pour cadrer l’improvisation, Lavigne observe l’œuvre sortie directement de l’inconscient pour intervenir sur sa composition. Ainsi rétablit-il dans ses toiles abstraites l’équilibre en assurant une dynamique maîtrisée.
Le peintre possède également en commun avec la musique du jazz ce désir intense, qu’il répète inlassablement, de développer sa sonorité de peintre comme une voix individuelle et créative. Il dit refuser de se limiter à un style pour rester ouvert aux nouvelles possibilités. « Ne jamais m’enfermer dans un style m’amène à expérimenter sans cesse de nouvelles formes d’expression dans ma peinture. »
C’est ainsi que l’artiste présente autant des toiles gestuelles abstraites appliquées de dripping à la Pollock, des abstractions se rapprochant du noir et blanc zen de la calligraphie japonaise, des toiles figuratives symbolistes sur fond vert fluo pastichant des chefs d’œuvres traditionnels ou encore des œuvres d’art brut au primitivisme chaotique et multicolore.
En bon autodidacte, Lavigne cherche son style et vit la peinture comme une nouvelle aventure créative, hybride comme l’est aussi le jazz. Son œuvre intitulée Une histoire d’amour reflète son processus créatif où l’artiste tente de concilier son goût de la logique d’interprétation et son attirance pour la libération qu’offre la gestuelle expressionniste. On peut reconnaître l’intellect qui préside au concept : il utilise les symboles et la géométrie (ici les deux cœurs), suivi de la projection pulsionnelle lancée sur la toile, qui joue sur le hasard du geste et crée un effet de mouvement.
« Je peins dans l’urgence, dit-il. Mon énergie se bouscule. Je suis dans le moment présent. Ça devient très intense. Il me faut tout dire, absolument tout. Aller jusqu’au bout. Déblayer le regard pour sortir du superficiel. Revenir à l’essentiel : l’énergie de la création et de la destruction. Dire cet éternel recommencement de la roue de la vie. »
Par Nadia Nadège