de l’Université de Sherbrooke
Voyage au pays de l’enfance
Par Louise V. Labrecque
jusqu’au 18 mai 2019
Autant vous prévenir dès le début : nous voilà dans les années 50. Pierre Leblanc est un adorable petit garçon aux boucles blondes. Il habite Côte-Saint-Paul, un quartier ouvrier de Montréal, dans une maison louée par ses parents, au 2026 rue Roberval, face à la gare de triage, avec une voie ferrée à six voies. Un vacarme de ferraille permanent, avec de la boucane, des fleurs de macadam, des escaliers en tire-bouchon, un perron, une maman aux joues roses, un papa, des frères, des sœurs, des amis. Petit Pierre est heureux; son univers est rempli d’amour. À dix ans, toutefois, il faudra partir; c’est ce quartier qui sera détruit pour faire place à l’échangeur Turcot, voie d’accès au site de l’Expo 67 avec la Terre des Hommes. Nous pouvons percevoir ici tout le tragique de l’envers d’une œuvre; le temps passe et il faut aller plus loin, ne pas effleurer seulement. Ainsi, le pays des origines demeurera vivace dans les mémoires, fidèle à lui-même.
Tout se tient dans cette expo « Espaces fragiles « au-travers les œuvres où féconde comme une tension, un monde de sensations vraies. C’est d’une beauté baroque, laquelle interroge à la fois l’ancien et le moderne; l’absolu de la modernité avec l’angoisse, parfois, d’un fondement essentiel, quelque chose qui ressemble à la vraie vie; le temps qui passe, la fin d’un cycle, le détachement, l’enfance qui ne reviendra jamais. Sans mélancolie, sans nostalgie, sa force est pourtant à la fois active et passive; ainsi, toutes les œuvres me regardent avec un regard d’acier, et me parlent à moi, comme si j’étais l’une d’elle, comme si j’avais fait ce voyage, moi aussi, au pays de l’enfance; la mienne, avec celle de Pierre Leblanc, sculpteur.
Mon écriture est aussi faite pour cela, rendre compte, témoigner, moi aussi, de la beauté du réel de la vie, parfois de peine et de misère; l’enfance, c’est aussi l’affaire des autres, elle réveille des monstres intérieurs, elle sillonne le pays dans sa vieille station-wagon à la recherche des anciennes provinces du cœur et de la déraison, fou d’amour complètement de corps et d’esprit, mais il n’en meurt pas, ou si lentement. « Espaces Fragiles » c’est la vie en art, comme une fresque de l’Humanité, avec un pont; il y a une génération de sacrifié entre eux et nous, on n’enseigne plus les arts ; ils ne savent plus ! Ainsi, les vieux gamins auront toujours le sentiment d’être nés près de la fin. La sculpture, comme instrument littéraire, c’est plus qu’inspirant, c’est obsédant. Dans sa dimension créatrice centrale, elle est éminemment symbolique; on parle de quelle limite, de quel envers de l’être ? Les œuvres, superbement solitaires, participent néanmoins à l’équation d’une vie entre elles, possédant toutes un arrière-plan, un récit montréalais, la vie d’un quartier, ses odeurs, ses bruits, sa beauté singulière; un caractère vaguement irréel, passager et comme vaguement angoissant. Chaque pièce pèse sur son contemplateur, comme des personnages d’exception. On arrive à percevoir des sensations sur les souvenirs; leurs gestes, leurs paroles, leurs ébats amoureux, leurs attentes, leurs habitudes. En même temps, chaque œuvre se regarde comme une énigme : le temps. Confusément fatal, continu, indéfini, le monde de l’enfance se livre à un effort d’interprétation. Il se trouvera sûrement des petits enfants pour regarder cette expo avec les yeux qu’il faut; ils s’en iront ensuite clamer partout que la mort n’existe pas, que l’art, la littérature, est la victoire définitive.
Espaces Fragiles et Réminiscence : une double expo, une double image de la réalité afin de réconcilier, peut-être, de l’intérieur et de l’extérieur, des souvenirs et des personnages. Transposition dans le quotidien par des structures différentes de celles que l’on peut définir comme classiques ; nous sommes dans l’univers d’un imaginaire d’enfant éblouissant, futur maître de la sculpture et des arts au Québec. Pierre Leblanc mérite vraiment le détour avec cette expo « autobiographique » originale, imposante, et qui en marquera plus d’un.