Un entretien sur l’état des métiers d’art au Québec
Monsieur Martin Thivierge, en poste depuis 2014. Notre conversation a abordé différents aspects de la réalité et des défis d’aujourd’hui pour le milieu entier des métiers d’art.
Parcours : Quel constat faites-vous aujourd’hui sur l’état des métiers d’art au Québec?
Martin Thivierge : Je le trouve très dynamique si on regarde sa diversité et sa visibilité dans l’ensemble des médias. Il y a un souffle nouveau provoqué par l’intérêt et l’implication de nombreux jeunes créateurs qui participent de façon importante au renouvellement et à la transformation des techniques et des approches. Ces jeunes utilisent souvent la dénomination de designer pour se définir. Ils sont des designers en métiers d’art. Le terme artisan étant considéré aujourd’hui souvent comme péjoratif. Peut-être parce qu’il ne correspond plus tout à fait aux nouvelles réalités. Nous sommes à une époque de grandes transformations et, en ce sens, je dirai qu’on est mûrs au Québec pour amorcer un large débat sur le sujet.
Parcours : Crise identitaire?
M. T. : Il n’y a pas de crise, il y a des changements de perception et de façons de faire. On ne peut plus tout mettre dans le même panier. Les métiers d’art regroupent un très large amalgame d’approches, de techniques et de métiers. De plus, la technologie transforme la façon de faire, mais aussi de voir.
Le terme artisan est beaucoup moins utilisé au Québec depuis 1988, l’année où est entrée en vigueur la loi sur le statut de l’artiste qui ne parle plus d’artisan et qui aborde la dimension créative des métiers. On parle depuis d’artiste ou de designer en métiers d’art. Cette terminologie se distingue de celle d’avant. Par exemple, ce que l’on désigne comme artisanat d’art fait référence à la reproduction utilisant des techniques ancestrales sans en modifier les méthodes et les outils.
Par artisan, on désigne quelqu’un qui transporte la technique plus loin. Il l’adapte. En ce qui concerne l’artiste ou le designer en métiers d’art, on sous-entend quelqu’un qui réinvente les approches, pousse la créativité. Si on s’interroge sur la terminologie, et ce n’est pas que d’aujourd’hui, c’est parce que le moule ne fait pas à tous. Maurice Savoie, par exemple, lauréat du prix Paul-Émile-Borduas en 2004, était un grand céramiste qu’on ne peut pas associer à l’artisanat. Tout en demeurant fidèle à l’esprit des métiers d’art, il a réalisé un œuvre solide en inventant une approche qui, même si demeurée fidèle à ses racines, était tout à fait moderne. Et il n’était pas le seul créateur à aller dans cette direction. Jean-Paul Mousseau, signataire de Refus global, a fait le Salon. Il a d’ailleurs été un grand innovateur, notamment par les matériaux. Les Rousseau-Vermette aussi… Ils sont nombreux.
Parcours : Parlons du Salon des métiers d’art qui, cette année, célèbre rien de moins que son 60e anniversaire, ce qui en fait l’évènement culturel le plus durable au Québec et probablement à l’échelle nationale…
M. T. : Je suis très content que vous parliez d’un évènement culturel. Si au Salon on peut acheter des œuvres et objets, ce n’est pas un centre commercial. Le Salon, c’est un ensemble complet. On y offre plusieurs conférences très diversifiées touchant plusieurs aspects. On revient aussi cette année – après une courte interruption – avec les démonstrations. Ainsi, le public pourra voir les créateurs travailler soit à la Place La Presse Plus, soit dans leur stand.
Il y a aussi les 5 à 7 sous le signe de la mixologie, très tendance actuellement. Les mixologues s’inspireront des œuvres des exposants.
De plus, le Salon, c’est aussi un lieu où sont présentées plusieurs expositions variées. Le Salon, c’est avant tout un espace de convergence. Un point de rencontre majeur entre les créateurs et le public, mais aussi de tout le milieu lui-même.
Parcours : Il y a des changements importants dans la formule cette année…
M. T. : Effectivement, on a raccourci sa durée : 21 jours, c’était trop long. Cela occasionnait une logistique trop astreignante pour les exposants. On fait le pari qu’on aura le même achalandage, mais en moins de jours.
Parcours : Qui plus est, comment voyez-vous le futur?
M. T. : Je vois le futur par le rapprochement entre l’artisan et l’industrie. En fait, le futur, curieusement, je le vois s’inspirer de notre passé pas si lointain. Une époque qui a vu s’épanouir, par exemple, une entreprise comme Céramique de Beauce. Je ne parle pas ici de grande industrie. Le « fait main » demeure, mais d’une manière différente dans les moyens. Je vois l’artisan plus soucieux de concevoir et de fabriquer des produits culturels qui se distinguent, durables et de qualité, à une plus grande échelle.
Il existe aujourd’hui des métiers à tisser informatisés. On pourrait développer autour du matériel existant et le plan numérique en culture du gouvernement pourra nous aider à aller dans ce sens.
Comme je le mentionnais, ce n’est pas une avenue totalement nouvelle. Dans les années 1960 et 1970, plusieurs artistes créateurs ont travaillé de concert avec l’industrie. Je pense, entre autres, à Maurice Savoie avec ses briques, et il y en bien d’autres…
Parcours : Monsieur Thivierge, il nous faut conclure ici. Merci pour votre précieux éclairage sur un milieu qui connaîtra encore sans aucun doute de nombreuses transformations, et ce, tant dans la forme que dans le regard.