Serge Lemoyne a tout fait dans sa vie pour rendre son oeuvre compréhensible à l’ensemble de la population québécoise sans jamais faire de compromis sur le plan artistique. À son décès en 1998, il n’aura pas atteint son objectif. Happening, événements, improvisations à des émissions de télévision populaires, peintures magistrales inspirées de la cellule et des constellations, des joueurs du Canadien de Montréal (série bleu, blanc, rouge), de sa propre maison qu’il peignait avec acharnement, n’auront pas suffis à le faire connaître au «monde ordinaire» sauf peut-être de la population d’Acton-Vale où il est né et où il a vécu. Il faut dire que Lemoyne était pour le moins non conformiste et s’opposait à l’art réservé élitique et au rôle joué par les musées de cette époque.
Dans les années soixante-dix et jusqu’à la fin des années quatre-vingt, je ne me rappelle pas d’avoir vu des œuvres de Lemoyne dans les musées québécois ou dans les galeries que je fréquentais – exception faite de la Galerie Michel Tétreault qui avait présenté les œuvres récentes de Lemoyne en 1984. Il n’y avait pas non plus de livres qui présentaient son travail. Pourtant il avait débuté sa carrière de peintre au début des années soixante!
Si Lemoyne avait des appuis inconditionnels de critiques d’art notamment de Claude Jasmin du journal La Presse, il avait aussi ses détracteurs. En ce qui me concerne Guy Robert en faisait partie. Dans son livre «L’art au Québec depuis 1940», publié en 1973 et qui me servait de référence, pour ne pas dire de Bible, on présentait Lemoyne comme un organisateur de «Happening» et d’Événements et non comme peintre. Robert écrit: «Son profil tenait à la fois du «mafioso» yéyé et du «fan» enragé de la quétainerie sportive québécoise… sa transe inventive s’avouant vite frustrée par les seules explosions et propulsions de la peinture gestuelle». Règlement de compte? Alors qu’à cette époque les galeristes ne défendaient pas l’œuvre de Lemoyne, l’opinion de Guy Robert fut déterminante sur le jeune collectionneur que j’étais qui a vite fait d’éliminer à tort Lemoyne de sa liste d’artistes à collectionner.
Heureusement l’exposition «Stations» (1987) du Centre international d’art contemporain de Montréal (CIAC) avait retenu trois œuvres de Lemoyne qui avaient suscité ma curiosité. L’année suivante (1988), ce fut la grande rétrospective Serge Lemoyne au Musée du Québec et le lancement de l’important catalogue de l’exposition de plus de 230p de Marcel Saint-Pierre. Depuis, je suis devenu un inconditionnel de Lemoyne et j’ai eu l’occasion d’acheter en galerie, à l’encan ou même de d’autres collectionneurs plusieurs œuvres qui font partie de ma collection.
L’automne 2012 mettra à nouveau Lemoyne sous les feux des projecteurs : expositions à Loto-Québec et en galerie, lancement d’un livre, numéro d’automne de la revue Parcours consacré à Lemoyne, émissions de radio et de télévision et peut-être la réinstallation de la grande murale de Loto-Québec «L’art est un jeu» qui trouvera, nous l’espérons, un nouvel acquéreur. Je sais que d’autres événements se préparent et se révéleront au cours des prochaines années. Parions que cette fois, Lemoyne connaîtra un succès populaire.
Conclusion
J’ai voulu démontrer et expliquer brièvement pourquoi cet important artiste n’a pas retenu mon attention (ni celui du marché) avant la fin des années quatre-vingt. Le corollaire de ce qui précède et d’intérêt, c’est qu’il soit encore possible d’acquérir des œuvres de Serge Lemoyne à des prix abordables. J’ai l’impression que d’ici peu les prix s’enflammeront et se compareront aux prix payés pour certains automatistes et plasticiens québécois. Je suggère d’apporter une attention particulière aux séries : «Cosmos» de 1966, «Petites Super-positions» de 1982, «Hommage à Matisse» de 1996-97 et «Trou noir» de 1997-98.
Michel Lauzon
Collectionneur