Opinion
Par Jacques S. Tremblay
Directeur général du Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul
Par les temps qui courent bien des inquiétudes ont été semées dans notre société. Le gouvernent du Québec réévalue ses programmes de financement et s’est donné comme objectif louable l’équilibre budgétaire. Là s’arrête pour l’instant les compliments, nous jugerons plus tard à l’usage de l’opération. Bien sûr, certains dirons « pas dans ma cour ». La pertinence d’une coupure et de ses réalités est toujours difficile à vivre nous en convenons. Nous regarderons celles des musées du Québec qui sont bien malmenés depuis les dernières années.
J’ai retenu les sorties des directeurs et directrices des grandes institutions muséales durant la période estivale. Les coupures au Musée des beaux-arts de Montréal, au Musée de la civilisation ou au Musée national des beaux-arts du Québec augurent bien mal pour l’ensemble du réseau muséal au Québec.
Le directeur général de la Société des musées québécois exprimait au début de l’été son inquiétude et invitait le ministère de la Culture et des Communications à travailler davantage en concertation. C’est à ce mot justement que je bute.
On a créé au Québec un réseau muséal de grande qualité présent dans toutes les régions du Québec ainsi que dans les grands centres. On y compte 123 musées accrédités et recevant une aide au fonctionnement. Certains sont des institutions nationales du gouvernement, les autres pour la plupart des OSBL qui ont assuré toutes ensemble réunies le rayonnement culturel à l’extérieur du Québec ainsi que dans leurs communautés respectives. Je n’insisterai point davantage sur leur impact économique et sur leur contribution à titre de diffuseur culturel de notre identité.
C’est d’ailleurs sur ce mot, celui de l’identité qu’il faut se concentrer : Initialement, l’objectif majeur de l’existence d’un musée fut celui d’être un initiateur, un diffuseur je me répète sciemment un conservateur de notre identité culturelle. Nous l’avons fait avec peu de moyens avec une passion qui ressemble à l’oubli de soi mais surtout avec une compétence comparable aux grandes institutions internationales dans le monde.
Nous l’avons fait avec des moyens financiers qui n’ont pas augmentés. Depuis dix ans, les musées ont reçu pour la majorité d’entre eux la même aide au fonctionnement de la part du gouvernement du Québec. Pourtant les frais de gestion augmentent à chaque année. Prenez pour exemple votre propriété, nous n’échappons à aucun frais (taxes, entretien, assurance, électricité). Au cours des ans, les obligations elles aussi augmentent. Il nous faut payer des droits de toutes sortes, des permis, sans oublier la tracasserie bureaucratique qui catalysent nos énergies. Nous vivons dans un monde de rapports.
Souvent, la population croit que nous nageons dans l’argent. Les gens pensent que nos cadres ont des salaires très élevés et les bâtiments dont nous avons la charge paraissent aux yeux de certains comme étant trop luxueux. La vérité est toute autre; nous avons appris depuis longtemps l’équilibre de la survie. Nous pourrions même en faire la leçon au gouvernement. Nos bâtiments sont des héritages et ils constituent des fiertés, un atout de développement et de formation pour une société.
Nos gens qui y travaillent sont sous payés mais y demeurent parce qu’ils ont la passion de la mission. La tradition du mécénat au Québec s’avère fragile et peu florissante. Malgré cela, nous mettons beaucoup d’énergie à créer des partenariats et surtout à élargir nos réseautages dans le but explicite d’obtenir des argents nouveaux, un effort quotidien sur le terrain ce qui a souvent manqué aux gouvernements qui ont géré le Québec. Le gouvernement du Québec devrait s’en inspirer.
L’état du Québec a fait pire. Après avoir contribué à créer notre réseau muséal en plus de l’aider inadéquatement financièrement à jouer son rôle, il l’a oublié. Ce grand visionnaire qu’est le gouvernement a créé au cours des ans différents organismes parapubliques au niveau régional et réalisé des ententes de développement culturel dans le réseau municipal et bien d’autres structures ici et là, j’en oublie sciemment. Dans toutes ces structures qui ont pour mission de développer le Québec, on parle ici de plan d’affaires d’études de toutes sortes, chacune ont des volets consacrés à la culture qui s’adressent à leurs clientèles. Souvent leur mission ressemble quand elle ne double pas au à celle des musées. Dans ces super structures et il y en a, que ce soit à Montréal à Québec ou en région, le réseau muséal n’y possède une présence d’office. Nous sommes considérés comme prestataires de service comme d’éventuels clients dont que l’on ignore dans bien des circonstances.
Nous n’avons comme influence que celle que nous gagnons. Voilà où doit se faire la réflexion des programmes du gouvernement. Sortir les musées de l’arbitraire bureaucratique et du discrétionnaire politique et leur donner un pouvoir de réflexion dans notre société.
C’est ainsi que peut-être nous contribuerons à faire évoluer notre société, à la développer. Nous avons perdu celui de réfléchir pour ne nous laisser que celui de l’agir sous le contrôle de la paperasserie.
Chez notre voisin américain, on a compris depuis longtemps l’importance des musées. Imaginez New York sans! Tout l’impact qu’ils ont sur la vie de leurs concitoyens, ce qui en fait une ville des plus dynamiques en Amérique. Les musées ne sont pas qu’une machine à touristes, ils sont avant tout une ouverture sur le monde et contribuent à forger notre identité culturelle.
Ici au Québec cette identité est devenue un slogan. Aucun gouvernement dans le passé n’a eu le courage d’aller plus loin que la devise. Certes des efforts ont été faits, mais bien faibles. Je ne citerai que l’exemple de Jean-Paul Lallier qui a fait sous sa tutelle l’axe de la culture, l’approche angulaire de la nouvelle richesse de Québec. Une citation presqu’unique mais je pourrais en dire autant de Baie Saint-Paul.
Il y a des fois où je crois que nos dirigeants ont conservé un esprit tout à fait machiste. J’ai rarement vu quelle que soit la période de crise que nous traversons, les autorités politiques couper dans le sport, surtout dans le hockey. Personne parmi eux ne critiquera publiquement les généreux salaires versés aux athlètes. Quand j’étais petit le samedi soir il nous fallait écouter le hockey. Dans les années 60, en général nous n’avions qu’un seul poste de télévision. Le bon film à l’autre poste il nous fallait l’oublier : c’était le hockey qui régnait même sur les minorités qui avaient pour choix la culture. Rien n’a changé.
Aujourd’hui on construit un temple du sport à grand frais. On parle d’équipe au sein de la ligue nationale. Et bientôt, les marchands du temple iront vendre des loges VIP aux entreprises situées en périphérie de la capitale. Ils ont déjà commencé. Pour l’histoire d’un soir on s’imaginera vivre avec les stars mais on refusera l’aide à la culture, pour une seule et simple raison : les affaires ne vont pas bien. J’entends déjà le reproche de leur part, d’une subvention accordée à un artiste ou la critique face au prix d’un tableau d’un artiste de la relève : c’est bien trop cher!
Il me semble qu’une société doit se construire dans un parfait équilibre. Oui au sport oui à la culture, l’un ne peut aller sans l’autre. La culture est l’un des meilleurs investissements qu’une société puisse faire. Tous les économistes vous le diront, aucune société n’a été florissante sans l’atout d’une vie culturelle prestigieuse. Regardons l’histoire de l’humanité pour ceux qui ont fait leur humanités ou qui ont touché à un livre.
Je n’ai jamais vu un bâton de hockey accroché dans un parlement, dans un palais, mais des tableaux commandés par les pouvoirs en place.
Je crois à l’esprit sportif mais surtout à l’équilibre de nos forces. S’il est une chose à laquelle notre gouvernement devra réfléchir, c’est bien à cela. Souhaitons-nous des musées soutenus adéquatement et qui participent au pouvoir de réflexion. Voila la réflexion!
Jacques Tremblay,
directeur général du Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul
Baie-Saint-Paul, le 30 septembre 2014