Au Musée de la Civilisation
François Maltais
Nous les contemplons aujourd’hui dans leur blancheur hiératique, mais ces figures antiques étaient peintes de couleurs vives que les affres du temps ont fait disparaître. Le Musée de la civilisation de Québec présente plus de 160 de ces pièces uniques – statues, vases, amphores, céramiques, bijoux et autres – provenant de la très riche collection des antiquités classiques des Musées nationaux de Berlin. L’exposition Les Maîtres de l’Olympe. Trésors des collections gréco-romaines des Musées de Berlin est un prêt majeur, notons-le, de l’Antikensammlung Museum berlinois et qui permet au Musée de la civilisation de Québec de présenter, pour la première fois en Amérique du Nord, une immersion dans l’univers des divinités de l’Olympe.

Remontée de l’Olympe
De là-haut, au-dessus des régions terrestres, ils assistent aux rivalités des hommes, les observent, en régulent les conflits, les attisant parfois. Sur le plus haut sommet de la Grèce, les poètes anciens y avaient placé leur séjour. Le mont Olympe, par instant perdu dans les masses nuageuses, accueille la résidence des dieux.
L’ensemble s’articule autour des douze divinités principales de l’Olympe. Et les visiteurs auront l’impression d’une ascension lente vers le Panthéon des dieux. Ils sont là, déclinés au travers de diverses représentations, amuïs, mais encore audibles peut-être. Cette tête marmoréenne, par exemple, dont le regard nous darde et questionne notre intériorité. Dans le style du Zeus de Dresde, elle est du 2e siècle, d’après un original grec en bronze daté de 440 à 420 avant notre ère, que les mains d’Agoracrite de Paros, disciple de Phidias, ont modelé. Et là, sur cette céramique attique du 6e siècle avant le Christ, l’Hydrie à l’assemblée des dieux, il y a Athéna, armée d’une lance, et Zeus encore, tenant le foudre (oui, le foudre), avec Hermès, le Messager des dieux qui, de son caducée, conduit aux Enfers les âmes des morts en assurant le passage d’une réalité à l’autre, et Dionysos qui est lié, comme le théâtre, aux transformations de la conscience. Il y a plus loin Héra, la sœur de Zeus, son épouse légitime et qui, vengeresse, incarne la jalousie, il y a Hadès, le dieu des enfers. Ici, c’est Aphrodite à demi-vêtue qui détourne le regard, et là, c’est Asclépios (les Romains l’appelaient Esculape), le dieu de la médecine, tous deux des marbres italiens taillés au 2e siècle. Ciste, sarcophage, reliefs et bijoux révèlent remarquablement, tant les œuvres de l’exposition sont exceptionnelles, les dieux de l’Olympe – les Artémis, Apollon, Déméter, Poséidon et autres – en même temps qu’ils nous mettent en présence des divinités sub-olympiennes qui gravitent autour.
Le système complexe des rapports qu’ont entretenu les dieux entre eux et avec les hommes a accompagné l’invention de l’écriture, façonné les savoirs et forgé des mythologies. Depuis Lacan, on sait que l’inconscient est structuré comme un langage. Mais quel langage structurait l’inconscient des dieux olympiens? Le Masque d’un vieil homme, du 3e siècle av. J.-C. et de provenance inconnue, est-il le messager d’une tragédie passée ou en cours? C’est vers les poètes que notre écoute se tourne, Homère et Hésiode, qu’un audio-guide, mis à la disposition des visiteurs, nous permet d’entendre converser.
Trésors berlinois
Mais pourquoi Berlin? En 1830, à Berlin, le premier musée public d’une Allemagne qui cherche encore à s’unifier ouvre ses portes. Des pièces d’art antique uniques sont ainsi présentées par l’Atles Museum. Dans le cabinet de curiosités du Palais des Princes de Brandebourg (la famille royale prussienne), au 17e siècle, les premiers éléments de cette collection sont déjà rassemblés. Une série d’acquisitions, notamment sous le règne de Frédéric le Grand (1712-1786), l’ami de Voltaire, viennent élargir ce trésor d’œuvres d’art gréco-romaines. Le 19e siècle verra des fouilles archéologiques importantes, en Grèce, en Italie et en Asie mineure (Turquie), assurer l’envergure du Musée des antiquités de Berlin, l’une des plus significatives à travers le monde. Les artefacts présentés dans l’exposition Les Maîtres de l’Olympe proviennent ainsi de ces collections constituées sur une période de plus de 350 ans. C’est Thérèse Beaudoin qui a agi à titre de chargée de projet et qui a collaboré avec les Musées nationaux de Berlin pour monter cette exposition majeure.
Notons que le Musée de la civilisation de Québec a participé financièrement à la délicate restauration de deux pièces uniques, rares et importantes : le relief de marbre d’une Victoire sacrifiant un taureau, datant du 1er siècle av. J.-C., et le relief d’Un héros Dioscure : Castor ou Pollux, du début de la Rome impériale. L’importante symbolique du sacrifice a été déterminante dans le choix de restaurer ces œuvres. Pour Michel Côté, le directeur général des Musées de la civilisation : « Il est donc important de retourner aux sources pour construire des repères et décoder le monde contemporain. »
Design céleste
Douze dieux olympiens, disions-nous. C’est autour de ce chiffre 12 que s’est structuré l’espace présentant les maîtres de l’Olympe, autour des colonnades auxquelles on y en a même rajouté quelques-unes pour en dénombrer un total de douze. Le scénographe Daniel Castonguay et l’architecte Caroline Lajoie de la firme Bisson et associés ont créé une ambiance immersive supportée par un design à la facture résolument contemporaine. La voûte céleste, l’empyrée, procure une atmosphère diurne, lumineuse, empreinte de sérénité. Pour Castonguay, qui avait déjà signé avec les Musées de la civilisation la scénographie de l’exposition Arts du Nigéria : « Le visiteur est donc convié à venir visiter la résidence des dieux, ici conceptualisée par la passerelle et, au bout de celle-ci, un ciel réalisé à partir d’une subtile projection de nuages. L’effet est grandiose! »
Point n’est nécessaire d’avoir parcouru avec Ulysse les lieues le séparant d’Ithaque, d’avoir traversé les festins ciconiens, les délices lotophagiques et les déliaisons éoliennes, non plus que d’avoir éprouvé ses heurts lestrygoniques ou ses métamorphoses circéennes. Mais au retour de cette ascension vers les maîtres de l’Olympe, vous serez mieux disposé à approfondir ces figures fondatrices de notre civilisation. Et vous les retrouverez, avec le sentiment aigu de la « réelle présence » de ces divinités dans les plis de notre monde contemporain. Vous reviendra peut-être cette phrase du poète : le classique est un contemporain de toutes les époques. Alors, le dialogue se poursuivra en vous. Une exposition magistrale à voir absolument!
au Musée de la Civilisation
Jusqu’au 15 mars 2015