Un top de quoi au juste ?
Le 22 février, La Presse+ publiait son Top 10 de l’art contemporain. Le milieu des arts visuels, reconnu comme l’un des plus susceptibles, perçu par plusieurs comme le mal-aimé de l’ensemble des disciplines artistiques n’a pas coutume de faire la Une des médias de masse. Il faut saluer les efforts [remarqués] du quotidien montréalais qui, depuis plusieurs mois déjà, fait une belle place aux arts visuels. Une initiative espérée depuis longtemps et qui maintenant est chose faite. Formidable. Éric Clément, journaliste et critique d’art, y contribue pour beaucoup, par la qualité de ses textes et son dévouement.
Ainsi ça faisait au moins deux décennies qu’on ne voyait plus de journaliste de La Presse en faisant notre tournée des galeries d’art à Montréal. Maintenant, il n’est pas rare de croiser Éric Clément et pas toujours chez les mêmes. Enfin pourrait-on dire, ce milieu fermé sur lui-même a l’occasion de s’ouvrir en laissant percevoir à un plus grand nombre de personnes sa diversité et sa richesse. Car l’univers de l’art contemporain est loin d’aller dans un seul sens, même si certaines tendances dominent. Ses directions sont innombrables et son exploration est particulièrement diversifiée. Il ne s’exprime pas à travers un seul souffle et c’est ce qui fait son grand intérêt. Vouloir le confiner et le définir est impossible, bien que plusieurs tentent de le faire. Comme la vie, il est mouvant et se nourrit d’une infinité de choses.
Pour toutes ces raisons, et bien d’autres qui pourraient s’y ajouter, j’ai été très étonné de lire le titre : « Le top de l’art contemporain », forcément accrocheur, dans cette récente édition de La Presse+. Oh ! je ne mets pas en doute loin de là, la qualité des artistes présentés ni la pertinence de les donner en exemple. Cependant, en prenant connaissance du résultat de cet exercice, on s’étonne que certains n’y soient pas. On se dit indubitablement, il ne peut y en avoir que dix… Puis, on remarquera que tous ces «élus » ont moins de 50 ans. Où sont passés ceux et celles qui ont une pratique depuis plus de deux décennies ? La question est légitime, non ? Et, au fait, top de quoi au juste ? Il ne s’agit pas de critiquer les choix, mais on peut questionner les objectifs et la méthodologie de l’exercice et surtout la manière avec laquelle on nous la présente. Il s’agit certainement de grands espoirs en art contemporain, mais il est peut-être un peu tôt pour parler de pérennité.
Quant aux experts appelés à se prononcer, le fait qu’ils exercent tous leur expertise en dehors du marché de l’art, correspond-il à un souci d’objectivité ? On aurait ainsi pris pour acquis que de faire partie de l’institutionnel est une garantie d’objectivité. Bon, d’accord, excluons les marchands, même si, on peut certes exprimer ce point de vue, en avoir au moins un dans ce jury aurait pu être salutaire. Mais les collectionneurs, eux ? Ceux et celles qui connaissent et scrutent le milieu avec attention, souvent depuis des décennies, et ont beaucoup appris de leurs erreurs, ceux-là mêmes qui souvent lèguent leur collection aux institutions permettant à nos musées désargentés de s’enorgueillir de l’acquisition d’œuvres exceptionnelles. Comment se fait-il qu’au moment d’établir un groupe aussi sélect d’artistes, on ait exclut les collectionneurs de l’équation ? Les experts retenus par La Presse+ sont tous des gens de qualité, ayant certes une excellente connaissance du milieu, la question n’est pas là. L’interrogation vient du fait que l’on prétend faire un top dix de l’art contemporain, alors que les jurys sont tous du même côté… Pour le moins tendancieux. Exercice légitime, mais certes mal nommé ou mal orchestré, car il donne à penser aux lecteurs qu’il a été fait en tenant compte de l’ensemble des forces du milieu. Et ce n’est pas le cas. Il s’agit incontestablement d’un top dix, mais c’est celui de l’univers institutionnel, pas celui de l’art contemporain dans toutes ses réalités.
Espérons que cette démarche n’indique pas l’avènement d’une telle ligne éditoriale pour le grand quotidien. Le milieu des arts visuels (les artistes surtout) a trop besoin d’une objectivité journalistique et d’une ouverture d’esprit pour favoriser son plein développement et sa vitalité. Après avoir enfin goûté à une couverture efficace et diversifiée, postérieurement à tant d’années d’absence, il serait particulièrement dommage de revenir en arrière.
Lien vers l’article de La Presse : http://www.lapresse.ca/arts/arts-visuels/201402/25/01-4742292-top-10-art-contemporain-la-presse-2014.php