François Escalmel
Révolution et décadence!
Le premier surréalisme, celui qui naît au début du XXe siècle, rejetait les bases d’une société qui avait mené à la Première Guerre mondiale. Sur ces décombres, on aurait bien aimé clouer la Raison et penser la vie autrement. De façon similaire, le Pop Surréalisme, qui prend forme à la fin du même siècle, s’arrime sur les vestiges d’un monde en train de s’écrouler. C’est encore une fois le retour au pouvoir de l’imagination et de l’intuition, à la juxtaposition des contraires, à un peu de délire! Le mouvement s’abreuve au foisonnement d’images qui a marqué le règne de la société de consommation, mais son esprit est porté par la faillite et l’effritement de la suprématie de l’Amérique. Les artistes sont critiques, réévaluent les modèles d’une société minée par un capitalisme brutal et qui semble avoir perdu son sens moral.
Si le mouvement Pop Surréaliste se positionne ainsi dans l’air du temps, il transporte aussi son attitude antitotalitaire dans la sphère même de l’art. Lieu de rassemblement des « misfits » et des rebelles, le travail de ces artistes refuse la définition étroite de ce qui est considéré comme de l’art contemporain par les milieux officiels. C’est d’autant plus vrai dans le petit monde québécois, si fermé dans ses idées, qu’il s’auto-étrangle et suffoque depuis des décennies.À travers l’imagerie pop, s’articule un retour à la figuration dans toutes ses formes, et c’est dans un sens la revanche des illustrateurs. En effet, beaucoup d’artistes surréalistes pop ont déjà été illustrateurs, métier qu’ils délaissent au profit d’un art plus personnel tout en mettant de l’avant leur savoir-faire.
Pour le public, c’est une bouffée d’air frais loin des dérives intellectuelles de l’art officiel. Puisant dans des imageries qu’il reconnaît, cet art le touche. À des œuvres souvent abordables répond une nouvelle génération de jeunes collectionneurs. Au Québec, seule la Galerie d’art Yves Laroche prend le pari de défendre cette forme d’art et cela depuis plusieurs années. Quelques artistes québécois se sont complètement intégrés au mouvement et y brillent, notamment Jonathan Bergeron, Jean Labourdette (Turf One). Devant la colonisation et l’uniformisation de la culture et peut-être même de l’imagination, ces artistes se connaissent, mais ne poursuivent pas un agenda commun autre sinon celui de manifester des visions distinctes et personnelles. Le Pop Surréalisme a maintenant une trentaine d’années et se porte bien, mais quelques dangers menacent sa vitalité et sa pérennité. Le succès de certains artistes a engendré nombre d’imitateurs qui font « à la manière de » de façon mécanique et sans âme. D’autres, sous des apparences de dénonciation, sont tombés dans le piège du « branding » et sont carrément devenus des marques. Enfermés dans un style immuable, ils font avaler aux quidams en manque d’appartenance des « produits » vides de sens. Il faut donc rester vigilants, être toujours curieux et critiques pour favoriser la découverte et l’épanouissement d’artistes vrais et authentiques. Les visions nouvelles et talentueuses ne manquent pas! Personnellement, je vous invite à découvrir (si vous ne les connaissez pas déjà) les aquarelles hallucinées de David Samson, les charmants drames « cartoonesques » de Jono Doiron, les dessins futuristes et satiriques de Stéphane Defago et les anatomies étranges de Pol Turgeon.