
Nous déplorons le décès de l’artiste James Guitet, survenu en son mas de Vaurargues près d’Uzès le 14 décembre 2010, alors qu’il était dans sa 86e année. Ses œuvres sont bien connues des amateurs d’art qui fréquentaient la Galerie Gilles Corbeil dans les années 1970 et de ceux qui visitèrent la grande exposition James Guitet 1977-1987 accrochée simultanément dans deux lieux importants à Montréal en 1988 : la Galerie de l’UQAM pour les grands formats et la Galerie John A. Schweitzer réservée aux miniatures sur papier.


Guitet quant à lui découvrait l’Amérique. En 1963, il exposait à Montréal en compagnie de Paul-Émile Borduas, Jean Dallaire, Albert Dumouchel, Charles Gagnon, Louis Jaque, Rita Letendre, Jean-Paul Riopelle, entre autres, dans le cadre des échanges entre les galeries Camille Hébert et Robert Arnaud. Depuis cette date, il a exposé et séjourné régulièrement à Montréal en compagnie de Lucette, son épouse. Il fut représenté à l’Exposition universelle de 1967 Terre des Hommes puis obtint une exposition solo de ses gravures au pavillon français. C’est à la Galerie Corbeil de Montréal, en 1975, que je rencontrai Guitet pour la première fois. J’appris lors de ce premier entretien qu’il était d’enfance nantaise, comme moi. Un premier article sur son travail me valut de lui la lettre inaugurale d’une correspondance suivie. J’ai couvert ses expositions successives à Montréal jusqu’à la fermeture de la Galerie Corbeil, puis organisé la double exposition de 1988 en collaboration avec Luc Monette et John Schweitzer. Le temps passant, notre relation d’artiste à critique s’était approfondie en amitié, ponctuée de rencontres à Paris, Maillane, puis Vaurargues et Issy-les-Moulineaux, qui m’ont permis de garder contact avec l’évolution de son travail.

Au Québec, il a laissé des amitiés et des traces de son passage, réalisant les estampes qui accompagnent les Courtepointes de Gaston Miron et les Poésies complètes de Nelligan, imprimées par Bénic et Tisari. Qui se souvient de son entrevue avec Wilfrid Lemoyne à l’émission Rencontres en 1977 ? Une courte rue porte déjà son nom à Val-David. Elle conduit à la maison que Guitet, passionné d’architecture, a entièrement conçue, extérieur et intérieur, en 1972. Guitet se plaisait à répéter qu’en France, seul le général de Gaulle avait vu de son vivant une place honorer son nom…
Texte et photographies extraits d’un livre à paraître, par Monique Brunet-Weinmann.
Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur.
TESTAMENT SPIRITUEL
Peindre, c’est adresser au monde un message d’amour (James Guitet)
Wilfrid Lemoyne – Avant d’être une esthétique, la peinture pour James Guitet est une éthique. Elle cherche à communiquer un message qui s’adresse à l’Homme universel, à l’Homme intemporel. Ces belles idées et beaucoup d’autres d’ailleurs, je les ai trouvées dans un beau livre qui lui est consacré aux éditions SMI, qui s’intitule Les forces du silence (1). C’est dans ce livre que nous avons découvert l’itinéraire spirituel de James Guitet, qui va de Teilhard de Chardin à Stéphane Lupasco, de Bachelard aux philosophes du zen. C’est tout dire.
Il y a cependant une image, James Guitet, qui m’a retenu, dans la partie de ce livre qui est de vous (vous y signez un long texte autobiographique), quand vous dites : « Encore bien jeune, j’avais l’impression de voir les choses comme un observateur qui aurait utilisé une longue- vue en la prenant à l’envers. Je me suis dit : ce pauvre enfant, il devait se sentir bien seul ! »
James Guitet – Oui, dans la mesure où je constatais assez tôt que les gens qui m’entouraient, les adultes, étaient des gens conditionnés, mais conditionnés à l’extérieur des choses, au quotidien, aux choses immédiates. Et j’avais l’impression quand je les entendais parler, ou quand ils s’adressaient à moi, que c’était toujours la superficialité des choses qui comptait. D’où l’effort inconscient de procéder autrement. Je sentais qu’il y avait autre chose. C’est pourquoi j’emploie cette image dans le livre : il y avait un envers des choses et il me semblait que c’était le plus important.
W.L. – Mais cet envers des choses que vous sentiez ou que vous pressentiez, est-ce que vous n’essayiez pas de le communiquer à ces adultes qui vous entouraient ?
J.G. Si ! C’est pourquoi un jour j’ai découvert le dessin. Car cet envers des choses, il ne pouvait pas s’exprimer par des mots, en tous les cas pas les mots du quotidien.
W.L. Surtout pas les mots de l’enfant que vous étiez encore…
J.G. Pas les mots d’un enfant, à plus forte raison. Le dessin, c’est tout autre chose. Tout est à faire avec le dessin. Le mot, lui, est le véhicule des contacts quotidiens, alors que le dessin est toujours à réinventer. Enfin, je ne dis pas qu’à cet âge, j’en avais conscience. J’ai peu à peu découvert que par le dessin, ce contact du crayon avec le papier, tout recommençait, et que je découvrais un au -delà des choses.
W.L. Vous vous sentiez libre en tant que dessinateur ?
J.G. Oui. Une liberté vertigineuse, une liberté inquiétante, une liberté fondamentale.
W.L. Mais vous dites aussi qu’à l’âge de cinq ans, vous avez souvent ragé devant votre fenêtre qui donnait sur une rue, où à peu près tous les jours un cheval s’arrêtait, passait et s’arrêtait. Et vous ragiez de ne pouvoir le dessiner.
J.G. Il y avait là un phénomène d’appropriation des choses. Cette image m’est encore très présente à l’esprit, ce cheval arrêté dans la rue, cet être étrange, cette étrange mécanique, ce grand corps posant sur quatre petites pattes, posant à peine au sol en quelque sorte. Et cette espèce de mécanique, je voulais comprendre ce qu’elle était en me l’appropriant par le dessin. Je vivais déjà, à cette époque, le dessin non pas comme amusement purement formel mais comme moyen de connaître, comme moyen de connaissance, d’investigation des choses.
W.L. Vous aviez la même sensation que Léonard de Vinci devant les oiseaux par exemple qui, dans son dessin, essayait de comprendre le fonctionnement des choses.
J.G. Il a passé sa vie à essayer de comprendre le fonctionnement des choses. Et là, je crois que Léonard de Vinci nous donne la grande démonstration, c’est-à-dire qu’il ne postulait pas une esthétique. L’esthétique n’était que la conséquence de cet effort d’investigation des choses.
W.L. Vous étiez donc seul. Vous étiez silencieux également. Vous aviez le contact difficile avec les gens.
J.G. Oui. Difficile par intériorisation. Et c’est pour cela sans doute que j’ai choisi de m’exprimer par le dessin, parce que c’est vraiment un processus de silence. La forme est silencieuse.
W.L. Il y a un homme qui, chose étrange à notre époque, a été à l’origine de votre carrière, de votre décision de devenir sérieusement un peintre, c’est le médecin de famille. Aujourd’hui, les médecins semblent n’avoir guère le temps de franchir le silence de qui que ce soit !
J.G. Vous l’avez bien dit. Le médecin de famille existait encore à cette époque, qui soignait d’abord par le contact humain plutôt que par des thérapeutiques sophistiquées…
W.L. C’est le premier adulte qui vous ait compris ?
J.G. C’est le premier adulte qui m’a compris, sans doute parce que c’était un bon médecin qui était doué avant tout de sens psychologique…(2) Comme le premier être qui ait l’air de comprendre mon silence et qui me faisait confiance, qui avait confiance dans mon destin en quelque sorte. Je l’ai ressenti comme cela.
W.L. Donc, très tôt, vous avez été un artiste, un dessinateur, un peintre. Vous saviez ce que vous vouliez faire. Au début de votre carrière, vous avez peint surtout des œuvres réalistes; je dirais même réalistes-socialistes.
J.G. J’ai d’abord été peintre figuratif. J’ai planté mon chevalet dans le paysage…
W.L. Et là, vous l’avez dessiné votre cheval !
J.G. Et là, j’ai dessiné mon cheval, mais surtout le paysage. Et aussi des portraits. Mais j’en suis arrivé à ce que l’on appelait à cette époque le réalisme socialiste. Je pensais témoigner de dimensions sociologiques, d’un engagement au niveau social, au niveau des options sociales, idéologiques.
W.L. On voit que vous étiez engagé idéologiquement et politiquement à ce moment-là.
J.G. Eh oui ! Bien que n’appartenant et n’ayant jamais appartenu à un parti politique. Je croyais à une époque que l’art ne pouvait pas être en lui-même une idéologie, si vous voulez. Il fallait qu’il colle, qu’il soit au service d’une idéologie concrète dans le social. Depuis, j’ai changé d’avis.
W.L. Cette période n’a pas été très longue, je crois.
J.G. Elle n’a pas été très longue : elle a quand même duré trois ou quatre ans ! (3)
W.L. Quand vous vous êtes lancé dans la peinture abstraite, assez tôt dans votre carrière, vous avez fait éclater, dites-vous, l’apparence des choses. Quelle a été l’étincelle qui a fait éclater votre première conception ?
J.G. Cette conception, je ne l’ai eue qu’après. Mes conceptions en matière artistique suivent l’expérience. Je me suis rendu compte peu à peu que l’objet me gênait dans la peinture. Dès que la forme représentait un objet quelconque, un visage, un paysage, une nature morte, j’avais l’impression que c’était une espèce de résidu d’expérience. Au sens où Focillon la définit, la forme se signifie, elle se signifie elle-même; et j’appréhendais, sans en être vraiment conscient le domaine du signe, qui lui signifie au sens très large du terme. C’est ce que j’appelle l’éclatement des apparences; je franchissais la ligne, je passais de la forme au signe. Peu à peu, ma peinture allait vers une notion globale, une image globale de l’Universel. J’emploie un bien grand mot, mais je n’en sais pas d’autre; une accession de l’image à l’universel et non au fragmentaire qui est l’objet.
W.L. L’objet n’est que l’apparence, et vous voulez aller au cœur de cette apparence.
J.G. Je veux aller à l’Essence. Si vous voulez, pour donner une comparaison plus concrète : si au lieu de représenter l’oiseau, ou un avion, ou toute chose qui vole, soit création de la nature, soit création de l’homme, je fais une forme qui n’est ni l’oiseau ni l’avion, mais qui donne la sensation de vol, j’aurai créé une forme qui sera le principe de vol, qui ne représentera ni l’oiseau, ni l’avion, mais qui exprimera l’essence même du vol. C’est ce que j’appelle l’image ouverte, l’image qui accède à un principe universel.
W.L. Et qui me donnera à moi, le spectateur de ce tableau cette impression, justement, d’envol.
J.G. Oui, cette impression d’envol qui vous ramènera à toute une globalisation plus universelle que si le tableau était simplement la représentation d’un objet.
W.L. Et réussir un tel tableau pour vous, c’est beaucoup plus exigeant que de réussir un tableau qui représenterait l’avion ou l’oiseau ?
J.G. C’est plus exigeant parce que vous avez à ce moment-là à créer une forme inédite.
W.L. À la trouver, votre forme !
J.G. À la trouver ! Ce n’est pas rassurant du tout ! Je l’ai ressenti quand j’ai fait le passage de la peinture figurative à la peinture abstraite. J’ai eu le trac, franchement. Je me suis dit : « Mais tu n’as plus l’objet ! Rien n’est reconnaissable. Tu as perdu quelque chose. Tu as perdu le support de l’objet, qui rendait ta peinture communicable aux autres. » À partir du moment où je faisais ma première peinture abstraite, je n’étais plus communicable dans l’immédiat. Je ne devenais communicable que dans la mesure où le spectateur allait fournir un effort pour décoder l’image, pour ensuite la connoter.
W.L. Ça se passe dans l’intuition du spectateur.
J.G. Dans l’intuition du spectateur, comme dans l’intuition du peintre. Quand je peins, je procède par la connaissance immédiate, c’est-à-dire par l’intuition. Je ne fais intervenir mon raisonnement qu’après coup.
W.L. Quand vous dites qu’avant d’être une esthétique, l’art est une éthique, vous allez très loin ! Vous faites du peintre ou de quelque artiste que ce soit une sorte de moraliste en fin de compte. De quelle éthique s’agit-il ?
J.G. Hé bien ! L’amour… On ne peut pas s’engager dans un processus de création qui implique forcément un effort pour comprendre le monde, les relations de l’homme au monde, sans une prise en charge individuelle qui consiste en ce rapport de l’homme au monde. Elle est absolument vertigineuse, mais elle ne servirait à rien si elle n’était pas adressée à nos semblables.
W.L. Si vous étiez seul au monde, vous ne peindriez pas ?
J.G. Ah non, je ne pense pas ! Seul sur une île déserte, ça n’a plus aucun sens. Donc, c’est un rapport de l’homme au monde, de l’homme avec ses semblables, c’est-à-dire un acte d’amour fondamental.
W.L. C’est dans ce sens-là peut-être que vous dites aussi que l’acte de peindre engage l’homme dans toutes ses dimensions ? Vous avez parlé de la dimension de l’amour, de la connaissance de l’intérieur des choses.
J.G. En fin de compte, toutes ces implications aboutissent à l’épanouissement de l’être, à l’épanouissement de l’homme dans la nature, c’est-à-dire à un élargissement de sa conscience. Mais alors, la morale, c’est d’en faire profiter les autres, c’est d’entraîner les autres dans ce grand mouvement d’amour total.
W.L. Vous dites aussi, à un autre niveau de l’interprétation de l’art, j’imagine, qu’un tableau est un système énergétique.
J.G. Oui, parce que la matière est énergie !
W.L. Expliquez-vous.
J.G. Alors là !
W.L. Ayez recours à vos pères spirituels !
J.G. Alors, je prendrai Lupasco, par exemple, qui a défini, lui, la matière en termes d’énergie. Il n’était pas le premier, mais il en a tiré une logique, toute une pensée logique : la matière est énergie, elle n’est que ça ! Si vous voulez, une pierre n’est pas inerte; elle est déjà en soi un univers. Il y a des échanges énergétiques à tous les niveaux, au niveau physique, au niveau biologique, au niveau psychique. La question se complique, car le psychisme est aussi énergie qui participe à l’énergie cosmique.
W.L. Pour les uns, il participe à la matière parce qu’il vient de l’Énergie qui a créé la matière, tandis que pour les autres, c’est un don de Dieu, une sorte de miracle.
J.G. Oui, c’est la spiritualité de la matière de Teilhard de Chardin.
W.L. Un autre de vos pères spirituels. Pourtant Teilhard de Chardin, c’est un théologien de la philosophie ou un philosophe de la théologie, tandis que Lupasco était un matérialiste, un rationaliste.
J.G. Un rationaliste… et il m’est arrivé une fois de parler de Teilhard de Chardin à Lupasco. Il me dit : « Mais enfin, Teilhard de Chardin n’a rien à voir avec ce que je fais ! » Je lui ai dit : « Vous aboutissez au même résultat : vous définissez la matière comme étant de l’énergie; rien n’est inerte dans la nature, tout participe à la Grande Énergie cosmique ! Et c’est ce que dit Teilhard de Chardin ! Seulement lui, il postule le point Oméga, alors que vous y aboutissez, puisque tout se résout chez vous au niveau du psychisme humain dans la maîtrise des événements et dans la conscientisation de l’Univers. » Le point Oméga de Teilhard de Chardin, c’est cette montée pyramidale de la surconscientisation des hommes au niveau individuel. Là encore, c’est important, ce n’est pas au niveau de la masse, c’est au niveau individuel.
W.L. Conscience individuelle ?
J.G. Au niveau de la conscience individuelle, mais qui devient conscience globale et unie et fraternelle vers cette surconscientisation suprême qui sera l’arrivée de l’espèce humaine à l’Unité cosmique et à Dieu, en fait.
W.L. La notion de Dieu ne préoccupe pas Lupasco.
J.G. La notion de Dieu ne préoccupe pas Lupasco parce que c’est un scientifique pur, et il veut vérifier.
W.L. Je comprends qu’après cette expérience avec Teilhard de Chardin et Lupasco, vous soyez également très intéressé par Bachelard qui est la fois un philosophe des sciences et aussi un philosophe de la poésie et de l’imaginaire.
J.G. C’est ça : un phénoménologue de la création, qui en quelque sorte pourrait être considéré comme le premier structuraliste. Il a démonté au fond… il est allé au-delà des mots, les a analysés, les a cassés comme on casse un noyau atomique pour aller chercher l’énergie fondamentale.
W.L. Pour aller rejoindre les archétypes.
J.G. Pour aller rejoindre les archétypes.
W.L. Savez-vous que pour être peintre, il faut être philosophe ? (rire)
J.G. Je ne crois pas que pour être peintre, il faille être philosophe. Mais de toute façon, dans la création artistique on aboutit forcément à une position philosophique, parce que l’on aboutit à une question fondamentale, vraiment métaphysique; on aboutit à la question métaphysique.
W.L. Vous voulez dire que le peintre qui creuse son art et le sens de son art ne peut pas ne pas arriver à la question métaphysique ?
J.G. Je crois qu’il ne le peut pas. Parce que sans cela, on aboutirait probablement à l’absurde. Je vis cet absurde quand je prends une toile, que je la tends sur un châssis, que j’ai des tubes de peinture qui sont des espèces de pâtes dentifrices informes, des pinceaux pour barbouiller une surface, c’est absurde ! Eh bien, c’est le geste le plus démuni ! Qu’est-ce que vous voulez faire avec ça ? Et puis, à partir du moment où vous tracez un trait sur ce rectangle qui était insignifiant, ce rectangle de toile tendue insignifiant, à partir du moment où vous tracez un trait qui va avoir sa trajectoire, qui va résulter d’une pulsion de l’être, n’est-ce pas, dans l’écriture, hé bien !, l’aventure va commencer à vivre, une signification va commencer à naître, il va y avoir deux rapports de surface, une frontière entre ces deux surfaces, puis je vais me trouver engagé dans une aventure qui va être en quelque sorte une découverte du monde et qui, un beau jour, aboutira à la question : « Qui suis-je ? Où vais-je? ».
W.L. C’est dans ce sens-là que vous dites que vous êtes à nu devant votre chevalet ?
J.G. Oui, quand je suis devant mon chevalet, je me retrouve seul, j’oublie le monde. Mais j’oublie le monde pour mieux me retrouver, et le retrouver.
W.L. Et vous vous posez la question, dites-vous : « Où suis-je et où vais-je et qui suis-je ? » Est-ce que c’est dans la réalisation de vos tableaux que vous trouvez des amorces de réponses ?
J.G. C’est là où nous ne sommes pas comparables aux scientifiques. Le scientifique trouve une réponse parce qu’il a des moyens de vérification dans un cadre logique, dans la démarche et dans la méthode qu’il appelle scientifique. Mais il n’y a pas de méthode en art. Il y a une méthode pour produire l’image, mais il n’y a pas de méthode au niveau de l’approche des choses. Alors, je suis à me demander si tout l’intérêt de l’art n’est pas dans la question même que l’art pose plutôt que dans la réponse. Parce que la question même porte toute la signification. Il n’y a plus besoin de réponse. La question est posée.
W.L. Est-ce que ça veut dire que vous, au point où vous en êtes maintenant, vous ne savez pas ce que l’on peut appeler le sens de la vie ? Quand vous vous posez vous-même la question devant votre toile : « Qui suis-je et où vais-je ? », c’est la question d’un sens que vous vous posez, d’un sens à votre propre existence, à l’existence du tableau que vous faites, d’un sens de l’art et de toute la réalité ambiante.
J.G. Le sens, ce serait, au sens de Teilhard de Chardin, la surconscientisation. Ou alors, pour citer un autre auteur (ça va paraître absolument scandaleux que je le cite en parallèle à Teilhard de Chardin !) Marcuse.
W.L. Ah bon !
J.G. Dans sa définition de l’homme multidimensionnel, c’est-à-dire où tous les instincts fondamentaux de l’homme se déploieraient. L’épanouissement total de l’être, il n’en a pas fait, lui, une image spirituelle. Par cet épanouissement de l’être total, cet accord à l’Univers, Marcuse a quitté le domaine du quotidien et de toutes ses fonctions fragmentaires.
W.L. En somme, il s’agit de réduire toutes les contradictions que vous rencontrez. C’est dans ce sens-là que le zen vous intéresse aussi ?
J.G. Exactement, parce que c’est l’état T, l’état de bodhisattva, c’est l’illumination, c’est quand l’être avec l’aide de sa force psychique est arrivé à résoudre ou en tous les cas à surmonter toutes les contradictions, tous les conflits pour accéder à un monde supérieur. Disons que globalement, pour moi, la création artistique est une montée vers un état spirituel de l’être, le dépassement du quotidien.
W.L. Merci, James Guitet !
(1) Michel Ragon, James Guitet, Les Forces du silence, Éditions SMI, Paris, 1973.
(2) On lit dans « Parcours mnémonique » : « Je dois rendre hommage à des Nantais qui ont illuminé ma jeunesse, parmi lesquels le bon Docteur Georges Chevannes qui fut le seul à encourager ma vocation et m’aida au moment de « monter à Paris » poursuivre mes études… »
(3) En fait, de 1946 à 1948.
Texte et photographies extraits d’un livre à paraître, par Monique Brunet-Weinmann.
Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur.
APPEL À TOUS :
Les collectionneurs et les amateurs de l’œuvre de James Guitet sont priés de communiquer avec Monique Brunet-Weinmann : par courriel à mwbrunet@videotron.ca ou par téléphone au (450)437-0114.
Pour le site Internet, en complément de l’article :
Transcription autorisée par le réalisateur Raymond Beaugrand-Champagne et le service des textes de l’émission télévisée Rencontres, diffusée par Radio-Canada en 1977.
Par Monique Brunet-Weinmann