« Un faisceau d’antinomies résolues. Doux et pointu, soufre et miel, l’ainé des plus jeunes, la statique explosive amante et désespoir de toutes discussions. L’enrageant ami qui poursuit à Paris l’expérimentation du dynamitage de ses plaines rocheuses. »
Paul-Émile Borduas, Indiscrétions (1947-1948)
L’œuvre de Fernand Leduc est colossal et sa contribution à notre société comme créateur l’est tout autant. Beaucoup pour sa peinture, mais aussi pour ses réflexions sur ce métier, et son approche, parmi les plus singulières de notre histoire de l’art. Des peintres automatistes, il est probablement le plus cérébral. Quand il parle de la couleur, on a l’impression d’entendre le récit, que dis-je, l’épopée chromatique, où le combat entre les parties est aussi déterminant que captivant. L’ensemble de sa production artistique n’est pas si loin de l’impressionnisme. Du moins, pas autant qu’il n’y paraît à prime abord. Pas tant dans le résultat, il est vrai, mais comme eux, la lumière aura été l’élément central de son expression picturale. Une lumière qu’il ressent avec intensité et qu’il analyse. Comme le soulignait René Viau : « Sa peinture ne se livre pas facilement. On croit d’abord être devant des toiles d’une seule couleur. Mais à y regarder de près, nous sommes davantage transportés devant un monde pictural plus proche de Monet ou de Turner que de toute austérité minimale1. »
Sa quête ? La lumière. Fernand Leduc sait très bien que comme pour le Saint Graal, son ambition comme artiste peintre est impossible à réaliser dans le concret. Sa quête est construite sur l’utopie, celle de vouloir capter en temps réel la lumière. Néanmoins, l’idée est fantastique ! Capturer la lumière et ses effets et les rendre sur le support de la toile. On pourrait qualifier l’approche de l’artiste de philosophie chromatique. Comme peintre, il ne peut qu’aspirer à en rendre son effet sur son être intérieur. Rien n’est définitif, rien n’est vraiment ce qu’il paraît. Le monde est illusion et la couleur n’échappe pas à cette réalité. Mais doit-on pour autant cesser de la débusquer ? L’œuvre de Fernand Leduc est à elle seule une réponse : non.
Fernand Leduc a toujours été sensible à la lumière. Déjà à l’époque automatiste et dans ses œuvres peintes à l’île de Ré au début des années 1950, sa recherche se précisera autour de l’ordre et de la structure en opposition à l’élan qui jusque là le caractérisait davantage. Théoricien, de plus en plus, la lumière et conséquemment la couleur deviennent graduellement les principales sources d’inspiration picturale. D’abord la forme et la structure s’imposent et partagent l’espace avec la couleur. Puis, au début des années 1970, la forme s’efface. Commence alors ce qu’il nomme à l’époque ses microchromies. « Avec sa compagne Thérèse Renaud, poète, aussi comme lui signataire du Refus global, décédée en décembre 2006, Leduc avait, en Italie, transformé en atelier un pressoir à olives abandonné. Ils se rendaient là, à la frontière entre la Ligurie et la Toscane, six mois par année. Comme par osmose, la lumière de ce lieu, vibrant des reflets des montagnes de marbre de Carrare s’alliant aux effluves de la Méditerranée toute proche, s’imprimait sur les toiles de Leduc2. »
Pour lui, chaque tableau pose un problème qui lui est propre et unique. La cohabitation sur la toile des couleurs n’est pas aussi simple que le non-initié peut le penser et justement, Leduc pense la couleur et réfléchit la lumière en tenant impérieusement compte de la surface, de l’espace. Les couleurs s’entrechoquent, se disputent la toile. Puis, une couleur n’est jamais unique. Chacune d’elle n’est pas une composante isolée des autres mais plutôt un lieu de cohabitation. Un vert, un bleu, un orangé, n’est jamais seul. Aucune couleur n’est pure, notre œil cherchera toujours sa composition, son mélange intime. Voilà, en partie, ce qui motive Fernand Leduc, bien que l’on pourrait certes étoffer encore et encore.