Séraphin et sa Némésis
Thomas Dupont-Buist
du 14 janvier au 1er février 2014 au Théâtre Périscope, 2 Rue Crémazie Est, Québec, QC, G1R 2V2,(418) 529-2183 / theatreperiscope.qc.ca dans une mise en scène de Frédéric Dubois.
Si le théâtre était un péché, on lui aurait certainement trouvé son homme en la personne de Frédéric Dubois. Multipliant rôles et ports d’attache, ses mises en scène voyagent à ses côtés, trouvant leur public de Québec à Montréal et parfois même jusqu’au Japon. Le metteur en scène qui ne boude pas l’écriture travaille présentement sur un projet collectif fort prometteur revisitant Un homme et son péché, le célèbre roman de Claude-Henri Grignon. La création collective du Nouveau Théâtre Expérimental et du Théâtre des Fonds de Tiroirs intitulée Viande à chien verra d’abord le jour à l’Espace Libre en novembre avant d’aller se faire voir au Théâtre du Périscope en janvier. Et qui sait, peut-être qu’une tournée viendra? En attendant, voyons voir ce qu’a à nous en dire Frédéric Dubois.
La patente à musique
À la base du projet : l’artiste visuel Pascal Robitaille qui fabrique des machines souvent destinées à produire de la musique. « On avait cette volonté de mettre la machine au service d’une pièce, de soumettre la pièce à la machine », explique Frédéric. Dans ce cas-ci, la patente prendra l’aspect d’une cabane musicale dotée entre autres d’une mécanique permettant de gonfler un ballon et de créer aléatoirement l’ambiance sonore de chacune des représentations. Restait au collectif (formé par Danièle Brière, Frédéric Dubois, Alexis Martin et Pascal Robitaille) à trouver un récit qui appartient assez à la culture québécoise pour que le public puisse se l’approprier. Œuvre à part entière de notre patrimoine, Un homme et son péché paraissait toute désignée, d’autant plus que les questionnements sur le capitalisme qu’elle suscitait pouvaient facilement faire l’objet d’un débat intéressant.
L’économie du péché
Capitalisme que Frédéric définirait comme « un système qui soumet notre mode de pensée sans nous laisser le choix d’y adhérer ou non ». Dans le roman de Grignon, le personnage de Séraphin incarne l’avarice, allant même jusqu’à laisser mourir sa femme Donalda, plutôt que de débourser de quoi la soigner. « L’économie ne sait gérer ni la beauté ni l’art, sauf en les détruisant », résume magnifiquement Frédéric. Habitués que nous sommes, au fil des adaptations (théâtre, radio, télévisuelle), à un Séraphin que l’on excuse plus aisément, il faudra se réadapter à la vision originelle du personnage, dans toute sa froideur et sa laideur morale, celle que nous propose Viande à chien. « Séraphin est extrêmement riche, mais il est dans une logique de rétention. Il nourrit son obsession d’épargne pour croire qu’il existe ». Même si « le péché vient des désirs que l’on nous impose d’avoir », Frédéric refuse d’excuser son personnage.
Capitalisme et pulsion de mort
Parlant de personnages, l’équipe de création ayant en son sein Alexis Martin dit « l’encyclopédie sur pattes », il a bien fallu s’inspirer de quelques bouquins pour définir leur caractère. Pour ce faire, ils ont consulté « en particulier Capitalisme et pulsion de mort[1] de Gilles Dostaler qui fait le pont entre les théories freudiennes et l’argent, tout en s’appuyant sur Keynes ». Mais les livres n’ont pas été les seuls à leur donner des munitions pour ce spectacle. L’avarice, que Frédéric juge « intemporelle », trouve aussi son expression dans les gens que nous fréquentons tous les jours. « Plusieurs personnes que je connais passent leur temps à accumuler des factures de gomme à mâcher, obsédées par l’épargne », souligne le metteur en scène. Selon lui, c’est cette peur de ne pas avoir d’argent (et non de rêve ou de vocation) qui crée des frictions entre nous et exacerbe notre individualisme.
Expérience tricéphale
La création à trois têtes, éminemment collective, n’aura finalement pas été très différente de ce que fait normalement Frédéric. Il y aura encore eu « beaucoup de réflexion, de lectures, de partage et ça n’aura pas été facile de choisir ». Surtout que le Nouveau Théâtre Expérimental et le Théâtre des Fonds de Tiroirs ont beaucoup en commun, ne serait-ce que dans leur volonté d’approfondir une recherche théâtrale, d’expérimenter et de faire des erreurs. Celui qui donne au public jusqu’à ses erreurs, pourra-t-on un jour le prétendre avare?