Entrevue
avec Robert Bernier
Photos de l’artiste : Sophie Thibeault
L’entrevue en vidéo. Première partie ici
Besner
La singulière nature humaine
à partir du 6 novembre 2015
à la Galerie MX
333, rue Viger Ouest
Montréal, QC
514 315-8900
Il y a vingt ans cette année, Dominic Besner présentait sa toute première exposition. Depuis sa carrière a été fulgurante, ponctuée entre autres par des expositions-évènements de [très] grandes envergures et des expositions majeures dans plusieurs pays. À Montréal, on l’a peu vu depuis Mora, en 2011. Dans quelques semaines, il effectuera un retour sur les cimaises montréalaises après une absence relativement prolongée à la Galerie MX. Il présentera ses œuvres récentes. Un travail différent. Puis il s’envolera pour le Maroc où une autre grande exposition de son œuvre sera présentée. Nous l’avons rencontré pour faire le point sur son travail actuel et sur sa vision de son œuvre avec le recul des ans.
Parcours. Jusqu’à maintenant, votre peinture a été particulièrement habitée par la théâtralité. Comment celle-ci s’est-elle imposée à vous?
Dominic Besner. Naturellement. Au départ, ma peinture en était une d’impression. D’état. Peut-être avais-je besoin d’un paravent? Peut-être tout simplement parce que la théâtralité me permettait de fouiller plus à fond le caractère de mes personnages. Ça me permettait aussi d’amener le spectateur dans d’autres directions comme celle du regardeur regardé, car mes personnages observaient aussi le spectateur.
Parcours. À un moment, vous avez pris goût à l’écriture, notamment pour Mora. Vous avez travaillé un peu comme s’il s’agissait de romans illustrés en poussant très loin l’histoire et les rapports entre différents mondes. Vous avez créé un monde littéraire d’abord pour ensuite vous en servir comme inspiration pour vos tableaux. Tout en sachant éviter les pièges de l’illustration. Quel était le processus?
D. B. D’abord je suis un intuitif. Cependant, j’avais besoin d’étoffer mon propos, d’avoir un sujet avec de la densité. C’est ainsi que le besoin d’écrire s’est imposé. D’ailleurs, ce qui est particulier, c’est que d’une part l’écriture était influencée par la musique. Et ma peinture par l’écriture. Je trouvais très stimulantes ces interactions dans mon travail.
Parcours. Nous sommes présentement dans votre nouvel atelier aménagé depuis maintenant deux ans et je constate que vos tableaux ont changé. Comment l’expliquez-vous?
D. B. Par la lumière. La dimension beaucoup plus vaste. Surtout par le fait que, à ce moment-là de ma vie, j’avais besoin de changement. J’éprouvais un besoin de me transformer. J’ai commencé à faire de la gravure. Ça a été une révélation qui a eu des conséquences majeures dans ma façon de voir mon travail, car ça m’a amené dans une finesse. La gravure m’a conduit, révélé à la ligne. Et m’a fait explorer la matière avec des formes et des profondeurs que je ne soupçonnais pas. Graduellement la ligne s’est imposée dans mes tableaux. Déterminante dans mon approche actuelle. Elle me permet d’enrichir mon langage plastique et d’épurer mon propos. Mes personnages théâtraux ont disparu. Maintenant, j’aime aller chercher quelque chose de plus humain, de plus vrai. Je suis encore plus en relation avec l’environnement que je souhaite maintenant présenter sans artifice. Il y a aussi quelque chose de très paisible dans mes derniers tableaux. Je suis allé vers la simplicité d’être. Je me dévoile plus dans ma peinture.
Parcours. Est-ce que l’on peut dire que vous avez gagné en confiance?
D . B. Maintenant on voit derrière le rideau. C’est plus intime. Cette approche me correspond plus. En vieillissant, je vois plus clairement ce que je veux exprimer. C’est moins enveloppé.
Parcours. Est-ce qu’on peut dire que vous avez libéré le trait?
D. B. Définitivement, je me sens plus libre.
Parcours. Ce qui pourrait sembler paradoxal, c’est que votre approche plus épurée a incité aussi une approche plus complexe. On constate que vos jeux avec la matière et le traitement formel fouillent davantage dans le conscient. Est-ce qu’une impression personnelle?
D. B. On sent davantage la structure. J’épure dans l’apparat et j’ai complexifié les compositions.
Parcours. L’inspiration et la direction artistique de vos œuvres récentes. D’où viennent-elles?
D.B. Ça a commencé par une introspection qui m’a mené à mon enfance à la campagne ontarienne. Mes tableaux récents sont autant de carrés de sable oubliés… Il s’agit de bribes d’histoires liées à ce que j’étais alors, solitaire et [très] imaginatif. Je n’ai pas cherché à définir dans l’exactitude mes souvenirs, mais à trouver l’humeur dans lequel j’étais. C’est ce qui explique la dimension sereine de cette série. Aussi, je dirais que ma peinture a considérablement gagné en lumière. Moins sombre dans tous les sens.
Parcours. On remarque l’apparition de motifs dans vos œuvres. Comment se sont-ils inscrits?
D. B. J’avais besoin de casser pour créer un rythme.
Parcours. Est-ce qu’on peut parler de musicalité?
D. B. Ça représente pour moi un état méditatif.
Parcours. Donc le motif est là pour casser la ligne?
D. B. Effectivement.
Parcours. Je remarque qu’il y a plusieurs petits formats, ce que vous faisiez peu avant. Est-ce que ça a été un défi?
D. B. Grand et petit formats sont des univers totalement différents. Quand je peins dans le petit, c’est plus compliqué parce que je suis plus habitué aux grandes surfaces. Mais le défi était stimulant car, en plus, j’étais dans une phase d’épuration et, avec les formats plus petits, enlever sans détruire l’essence du propos aura été le véritable chalenge et je crois l’avoir relevé.
Parcours. Pourquoi peignez-vous?
D.B. C’est un besoin vital d’exprimer des choses enfouies très, très loin en moi. Et la peinture me sert tantôt de porte-voix, tantôt de porte-à-faux…
Merci