Afin de rendre hommage à l’un de nos plus singuliers peintres décédé le 9 septembre dernier, voici à la Une un article publié en 2011…
Les champs d’expression en peinture sont vastes et inattendus, chaque époque amenant son lot de surprises et d’étonnement, de controverses aussi. Forcément, l’art est à l’image de la société et comme elle, il expose une multitude de points de vue. Combien de fois ai-je été témoin et partie prenante de discussions où chacun débattait à savoir si tel ou tel autre artiste traverserait le temps. Verbiage inutile, vous vous en doutez bien, car cela n’aura aucune incidence sur la pérennité de l’œuvre d’un artiste. Qu’est-ce qui a une influence sur la longévité d’un apport artistique alors ? Il y a plusieurs facteurs et ils sont de plusieurs ordres, artistiques, sociaux et économiques. Et puis il y a aussi une gradation. Tous les survivants ne sont pas égaux devant l’histoire. Une chose est certaine cependant, tous les styles et les langages plastiques verront leurs artistes se perpétuer. Dans la mouvance des écoles artistiques, celle que l’on associe à l’art traditionnel, le peintre Paul Tex Lecor sera un des artistes qui traversera le temps.Cela va bien au-delà des appréciations personnelles de l’un ou de l’autre. Heureusement, le milieu de l’art bouge et vogue sur la multiplicité des formes, des idées et des esthétismes. Chez les peintres paysagistes, Tex Lecor a apporté un regard différent face à ses contemporains et à ceux à qui il succédait. Il n’a pas révolutionné l’art paysagiste, il a ajouté son point de vue et sa contribution. Ce qui est énorme pour un peintre, voire rarissime considérant le nombre des prétendants.
Paul Tex Lecor est fait d’un bloc et si on devait n’utiliser qu’un mot pour décrire l’homme, ce serait le terme authentique. Et ce mot compte pour double puisqu’il décrit parfaitement aussi sa peinture. Authenticité face à lui-même. La peinture, il ne la théorise pas, il la vit. Chaque tableau se veut un témoignage d’un regard qu’il a porté sur des gens, sur un coin de pays. Lui qui est un amoureux de l’histoire et du Québec et de l’histoire du Québec, grande et petite, il s’inspire de ses racines, de nos racines. Ses œuvres possèdent une qualité indispensable dans la longue quête de sens que l’on cherche puis que l’on finit par accorder aux choses, aux sentiments, à l’histoire et à l’expression artistique : une indéniable et indispensable qualité documentaire.
La qualité documentaire d’une œuvre, et d’une démarche, repose en bonne partie sur… l’authenticité. Celle du regard que l’artiste porte sur ce qui l’entoure et celle de la nécessaire appropriation qu’il doit en faire. Le peintre ayant pour tâche de trouver sa propre distance, sa propre manière de voir et de faire afin de traduire une expérience, un vécu et un savoir par la peinture. La qualité documentaire d’une œuvre c’est d’avoir en somme de solides assises dans la réalité mais d’en faire sienne. C’est ce que réussit Tex Lecor. Prenons par exemple ses tableaux inspirés de faits historiques.
Comme toujours, le dessin occupe une place importance. Ses tableaux historiques impliquent aussi beaucoup de recherches et de préparations diverses. Il ne laisse rien dans le vide, le moindre détail compte, bottes, uniformes, accessoires même les lieux sont scrutés à la loupe. « Pour la Bataille de Saint-Eustache, on m’a dit : le cimetière est pas de ce côté là de l’église ! En fait il a été déménagé par après. » Les compositions sont complexes, les plans et la mise scène étudiés. Dans ces fresques historiques, Lecor se donne entièrement, tellement qu’il y a un peu plus d’un an, il en a fait infarctus.
Et puis, lui qui est un raconteur-né, il imbrique des histoires dans l’histoire. Des anecdotes qui viennent animer la narration de manière collatérale. Comme ce personnage qui semble être Chénier, touché au ventre, agonisant, assis dans le cimentière la main sur la tête d’un patriote mort à côté de lui : « Souvenez-vous de Weir ! »
Lors de la Bataille de Saint-Eustache, les patriotes ont été complètement débordés, encerclés par les troupes anglaises de beaucoup supérieures en nombre (on raconte jusqu’à 5 fois plus). On pourrait lui reprocher d’être trop illustratif. Question de point de vue. Chose certaine, le traitement qu’il donne à ses grandes fresques va tout à fait dans le sens des représentations historiques à la différence peut-être que, considérant l’importance du dessin dans sa démarche, il pousse un peu la caricature. Ce qu’on lui pardonne sans difficulté.
L’authenticité de Lecor est partout, que dire de ses scènes avec les Amérindiens du nord du Québec qu’il a visités à maintes reprises, beaucoup à l’époque où il pilotait. Ces tableaux sont autant de chroniques justes dans lesquelles il aborde le quotidien avec une pointe d’humour caricaturale. En somme, sa peinture oscille toujours entre la description narrative propre à l’illustration et les structures savantes de la peinture. Des compositions étoffées de l’espace pictural dans lequel s’anime un jeu scénique proche du théâtre populaire. Il ne faut pas mettre de côté sa carrière en télévision.
Paul Tex Lecor peintre, animateur, chanteur, comédien… ou simplement Tex l’homme ne sont pas des parties d’un tout. C’est un tout impossible à dissocier.
Par Robert bernier