Compétition malsaine
Il n’y a pas qu’au Centre Bell où les matchs sont inégaux, le rapport de force entre les grands musées canadiens semble aussi souffrir de disparité comme le démontre bien l’histoire du Chagall. Cette situation est problématique, mais pas tant pour la vente du Chagall elle-même, bien qu’elle suscite des questions, que pour les motivations et la manière dont elle est menée par la direction du Musée des beaux-arts du Canada.
D’abord, il y a disparité dans les moyens. Le Musée des beaux-arts du Canada reçoit huit millions pour son fond d’acquisition du gouvernement fédéral. Aucun des grands musées québécois ne reçoit d’argent du fédéral pour ses acquisitions et leur budget est de beaucoup inférieur. Voilà pour les moyens.
Pour la méthode, le moins que l’on puisse dire est qu’elle met à jour une rivalité malsaine entre les musées et celle-ci n’est pas une formule gagnante pour personne. D’un côté, vous avez le Musée des beaux-arts du Canada et son directeur Marc Mayer et de l’autre, le Musée de la civilisation de Québec où est entreposé le tableau de Jacques-Louis David, Saint-Jérôme, peint en 1779. Et le Musée des beaux-arts de Montréal. L’œuvre appartient à la Fabrique Notre-Dame de Québec, et a été légué par les sœurs Geneviève et Henriette Cramail en 1922, officialisé en 1938 et en 1956, l’ensemble de leur collection est cédé à l’université Laval.
Selon ce que révèle Le Devoir, ce matin du 12 avril 2018, le tableau le Saint-Jérôme de Jacques-Louis David, n’est pas du tout menacé de quitter le pays comme le confirme La Fabrique, « Dès le départ, ça faisait partie du discernement de la paroisse et de celui de notre hiérarchie », a énoncé monseigneur Bélanger. « Ça n’aurait pas marché autrement. » relate le quotidien montréalais.
La question qui surgit est, le Musée des beaux-arts du Canada est-il le meilleur endroit pour ce tableau du « peintre de Napoléon », lui dont le tableau le plus célèbre est sans conteste, Le Sacre de Napoléon, aujourd’hui au Musée du Louvre. De par son historique, la collection des sœurs Cramail est intimement rattachée à la ville de Québec et voici pourquoi. Elle compte environ 200 œuvres dont 16 peintures, 2 aquarelles, quelques dessins, le reste étant composé d’estampes de belle qualité. La plupart de ces dernières sont des œuvres françaises, hollandaises et flamandes anciennes et parfois très rares. Geneviève et Henriette Cramail ont émigré au Canada en 1922. D’origine française, leur collection a été héritée de leur grand-père maternel, le peintre et collectionneur Gustave Mailand et comprend l’un des tableaux européens les plus importants importés au Canada à cette époque : Saint Jérôme entendant les trompettes du Jugement dernier du peintre français Jacques-Louis David (1748-1825), un tableau réalisé à Rome en 1779-1780, signé et daté de 1780.
Les soeurs Cramail donnèrent ce tableau et quelques œuvres de leur collection à la Fabrique Notre-Dame de Québec, peu après l’incendie de la basilique-cathédrale survenu l’année de leur arrivée à Québec. Un rare catalogue de vente fait état des autres œuvres dont elles se sont départies plus tard. Nous savons aussi que quelques œuvres ont pu intégrer les collections du Musée national des beaux-arts du Québec.
Pour ces raisons historiques, le Musée de la civilisation, qui comprend entre autres aujourd’hui, le Musée du Séminaire de Québec, aimerait le conserver dans sa collection. Toujours selon ce qui est cité dans Le Devoir, « Ce tableau viendrait compléter la collection du Séminaire de Québec. Il [jouit] d’une grande importance nationale et identitaire », énumère Stephan La Roche, et il est « lié à l’histoire d’immigrantes françaises qui ont fait des dons importants, qui ont fait beaucoup pour développer le goût de l’art à Québec et au Québec ; à l’histoire de l’éducation religieuse et culturelle de Québec et du Québec ; et lié à la Fabrique, donc à la cathédrale de Québec. En plus d’être d’un grand artiste et d’une grande valeur. On devrait considérer que ce tableau reste à Québec et au Québec. »
Considérant la somme impliquée, le Musée de la civilisation fait équipe dans ce dossier avec le Musée des beaux-arts de Montréal pour en faire l’acquisition (le tableau Saint-Jérôme » a été d’ailleurs prêté au Musée de la rue Sherbrooke pour son actuelle exposition sur Napoléon Bonaparte. Mme Bondil a expliqué au Devoir, « J’avoue que je ne comprends pas. L’idéal serait de pouvoir conserver un très beau Chagall au MBAC ; de conserver un très beau David de jeunesse — pourquoi pas à trois, à la limite, puisqu’on est déjà deux musées ? – et qu’il y ait une subvention pour la cathédrale Notre-Dame de Québec. Ce serait le scénario idéal. Trouver des façons de conserver le patrimoine d’ici. Il y a peut-être des solutions de collaboration et de transparence pour mettre nos énergies ensemble afin que tout soit préservé sur le sol canadien… On veut trouver une solution de collaboration, de copropriété, et c’est déjà symboliquement très fort »
Le « Deal » n’est donc pas fermé, car le Musée de la Civilisation a six mois pour égaler l’offre du Musée des beaux-arts de Montréal. Un peu plus et le Chagall pourrait être vendu pour rien… De la manière dont les choses sont menées qui sortirait gagnant d’une telle situation ? Ne faudrait-il pas mieux que les différents intervenants s’entendent sans tarder ? Poser la question est y répondre. Est-il possible d’annuler la vente ? Certes avec une pénalité qui pourrait représenter la commission revenant à l’encanteur pour une vente au prix fort, généralement 15 à 20 % du montant adjugé.
Robert Bernier
Sources : Journal Le Devoir et Le Musée de la civilisation du Québec.