Une riche expérience au pays de l’improbable
Critique. Pouvez-vous imaginer le nombre d’expositions, tous genres et lieux confondus ; musés, centres d’art, galeries d’art, maisons de la culture, cafés, présentées sur un territoire comme celui du Québec en une seule année ? Sans doute quelques milliers. Cependant rares seront celles qui vous laisseront une empreinte durable, ce quelque chose qui ressemble à une sensation de bonheur. Celle d’avoir vécu un moment unique et privilégié.
C’est pourtant bien ce que j’ai vécu en visitant, et après avoir visité, l’exposition, Créer; l’été des rencontres improbables, présentée jusqu’au 2 septembre au Centre d’art Diane-Dufresne, à Repentigny. Certes tout n’est pas « dans la coche » et les œuvres présentées sont d’intérêt inégal, par exemple, « le » dessin de Jane Birkin est une photocopie signée… Mais vous savez quoi, on s’en fiche car il se dégage une harmonie, une grande unité d’ensemble qui va bien au-delà des petits défauts.
Ce sentiment prend forme pour beaucoup par la scénographie, signée Richard Langevin. La façon dont on pénètre dans le parcours de l’exposition, l’éclairage, l’accrochage, amène le visiteur à découvrir l’exposition dans un climat apaisant, un état d’être. Toutefois ce qui hausse vraiment l’expérience à un niveau supérieur c’est que nous visitons l’exposition parcelle par parcelle. On ne voit pas les œuvres au premier coup d’œil, elles sont placées du côté opposé, derrière l’image et la présentation de l’artiste (textes justes et toujours intéressants rédigés par François Renaud). Cette façon de faire confère cette impression d’intimité si nécessaire et précieuse pour le contact avec une œuvre d’art. Ajoutez à cela la lumière tamisée et dirigée puis, la trame sonore, discrète et tout à la fois parfaitement audible émanant de l’installation de Diane Dufresne et de Richard Langevin. Un piano à queue mécanique jouant des airs connus sur lequel sont projetées des œuvres de Diane Dufresne. Et vous arrivez à cette harmonie, vous savez, cette sensation d’ouverture qui vous envahie un peu davantage à chacun de vos pas et qui contribue à la mise en place de la découverte. Et des découvertes il y en plusieurs.
Le chapeau de commissaire est porté par deux personnes, Richard Langevin, qui signe également la scénographie, et François Renaud, chef de section arts visuels à la ville de Repentigny. À eux deux ils ont réussi le tour de force d’effectuer une sélection dans un contexte parfois difficile. Plusieurs des artistes invités vivent et travaillent à l‘extérieur du Québec. Imaginer les démarches et les prises de contacts à distance sans oublier les obligations de chacun et les horaires chargés. Car pour l’occasion, on a réussi à assembler les œuvres de ; Daniel Bélanger, Tony Bennett, Juliette Binoche, Geneviève Borne, Jane Birkin, Gilles Carle, Miles Davis, Lhasa de Sela, Clémence Des Rochers, Diane Dufresne, Raôul Duguay, Lewis Furey, Jimi Hendrix, Brigitte Lafleur, Charlotte Laurier, Fred Mella, Chloé Sainte-Marie, Richard Séguin, Alain Stanké, Sophie Thibault et Michel Tremblay.
Les commissaires ont réussi à faire une sélection d’œuvres pertinentes dans le contexte. Celui de présenter des créations en arts visuels d’artistes reconnus pour leur apport dans un autre champ d’expression. Cela explique les niveaux parfois différents qui, il faut le souligner ne pèsent pas sur notre perception et cela, je le répète, pour beaucoup par le choix de présentation et la scénographie. Parfois il n’y aura qu’une seule œuvre comme pour Paolo Conté, une estampe qui m’a agréablement surpris et pour Michel Rivard, quelques petits dessins discrets mais combien révélateurs.
J’ai adoré les photographies de Fred Mella, que je ne connaissais pas. Membre des compagnons de la chanson pendant plus de quatre décennies, ses photographies sont sensationnelles. Je pense en particulier à celle de Georges Brassens assis bien droit, quelle présence il a. Les œuvres de Raoul Duguay sont également à voir absolument! On présente trois directions distinctes et complémentaires dans sa démarche, car tout est dans toute! Des mandalas d’une grande beauté, amenés avec une exécution aussi sensible que juste et audacieuse. s’ajoute un tableau de sa série des Bouleaux et une sculpture-objet de parenté surréaliste. Pour sa part Lewis Furey en étonnera plus d’un avec ses sculptures. Grand assembleur, véritable magicien de la terre, la vue de ses œuvre m’évoque le Bateleur dans le Tarot de Marseille en s’appropriant et en transformant des objet de métal qu’il a trouvé, pour certains enfouis dans la terre. Il en résulte un dialogue. Une interaction qui puise dans plusieurs sources ; le surréalisme, l’art primitif et la mise en scène. Une expression de grande qualité. Bien aimé également les sculptures d’Alain Stanké, les estampes de Richard Séguin qui montrent une maîtrise du langage des formes et des nuances. J’aimerais souligner le travail de Juliette Binoche d’une grande sensibilité et d’une forte expressivité. Les photographies de Daniel Bélanger fascinent mais auraient demandées plus d’espace… puis vous verrez avec un plaisir évident toutes les autres. C’est indéniablement un rendez-vous. Seul bémol, l’utilisation pourtant fort prometteuse des projecteurs. On aurait pu et dû pousser davantage le concept.
Robert Bernier