Dans la Presse Plus du 20 septembre 2023 sous la plume de Mario Girard on pouvait lire un excellent article autour de la mise en vente d’un tableau dont le prix a été fixé à 9 850 000 US$. Ce n’est pas rien. Bien que, dans le marché de l’art il ne s’agit pas d’une somme exceptionnelle. Sauf que.
Sauf qu’ici, comme le mentionne d’ailleurs très bien le journaliste Mario Girard, il y a un truc qui ne marche pas. Le tableau. Franchement il n’a vraiment rien d’exceptionnel. Pire. Il est même très, très ordinaire. Quant à la carrière de l’artiste, Bob Ross, elle n’a rien de vraiment éclatante artistiquement parlant bien qu’à sa manière il a été populaire. Il n’a pas ou peu vendu de tableaux puisque la plupart de ses « œuvres » étaient en fait des canevas explicatifs faits en trois versions pour montrer les différentes étapes de la réalisation d’un « paysage ». En somme, il donnait des trucs pour réussir des effets en peinture paysagiste basic. Alors, comment expliquer un prix de vente à cette hauteur ? Du marketing bien mené s’appuyant sur la nature humaine pour qui l’argent est la référence du grand tout. Résultat. Des centaines de médias (petits et grands) en parlent à travers les États-Unis, le Canada et même en Europe. Pas mal pour un artiste dont la tâche aura été d’animer une émission de télévision pour apprendre aux amateurs curieux à peindre un arbre, des nuages et des petites maisons. Il en a réalisé ainsi plus de 30 000 de cette façon. Le tableau mis en vente A Walk in the Woods est le tout premier de sa toute première émission, The Joy of Painting, en 1983. Une anthologie diront les plus optimistes. De l’art populaire dirons d’autres. Plutôt une peinture de trucs et d’astuces.
Qui est à l’origine de cette mise en marché ? La Modern Artifact Gallery de Minneapolis dans le Minnesota. Dans les notes explicatives sur l’artiste, la galerie associe Bob Ross au Pop Art… Il ne manque pas d’imagination ni d’audace. Ça pourrait être de la candeur, mais non, on est plutôt dans un opportunisme de très haut niveau. N’est-ce pas le pays capable de toutes les extravagances ? Cette galerie, comme bien d’autres l’ont fait et le font toujours, prend le marché de l’art par ses travers. Hautement spéculatif les débordements y sont inévitables. Et elle joue le jeu sans cligner des paupières, comme dans les duels aux pistolets des Westerns Spaghettis.
À la bourse, autre marché hautement spéculatif, les ventes et les achats sont établis sur des analyses. Quelqu’un qui connait bien le marché est capable de les lire ces analyses et d’en évaluer le sérieux ou pas. Ceux qui en sont incapables en paient le (fort) prix. Pareil dans le marché de l’art qui pour le commun des mortels est une énigme (où il vaut mieux faire ses devoirs avant d’y plonger). Vous vous souvenez peut-être du scandale médiatique survenu en 1989 lorsque le Musée des beaux-arts du Canada avait fait l’acquisition de Voice of Fire (1969) de Barnett Newman pour la somme de 1 800 000 $ ? Les grands titres des journaux de l’époque étaient foudroyants, « 1 800 000 $ pour des bandes !). Pourtant du point de vue muséologique et artistique cette œuvre était d’une grande pertinence. Et ce n’est pas tant pour ses bandes de couleurs, que pour la place qu’elle occupait dans la longue quête du signifiant dans l’art. Vous avez là deux univers irréconciliables. Et pour cause, il ne parle pas la même langue.
Dans le cas de Bob Ross, on confond beaucoup de choses. Bien sûr son émission a été vue par des millions de téléspectateurs (on est dans un pays de plus de 300 000 000 d’habitants). Il était très apprécié pour sa voix calme et son attitude cool devant la caméra avec sa chevelure si caractéristique. Cet ancien de la US Air Force était même attachant à plusieurs égards. Il savait guider. Mais, ce qu’il montrait à la télévision était d’une grande simplicité. Malgré tout il répondait à un besoin chez les personnes simples qui voulaient connaitre des recettes pour faire des beaux paysages bien stéréotypés… Une rivière, une montagne, une cabane, un oiseau, des nuages… Comment on fait ça ? Il va vous le montrer. La recette était tellement bonne qu’en 2015, vingt ans après son décès survenu en 1995 à l’âge de 52 ans, on a mis en ligne 400 épisodes de Joy of Painting sur la chaîne YouTube de Bob et le succès a été au rendez-vous, comme avant. Même Netflix a rediffusé la série Beauty is Everywhere, de Bob Ross en 2016.
Croyez-vous vraiment que Walking in the Woods se vendra 10 000 000 $ de dollars ? Jamais. En tout cas j’en doute fortement. Mais la galerie Modern Artifact vendra à coup sûr plusieurs œuvres de Bob Ross et ce à des prix aussi inespérés et qu’inattendus. Ici l’argent à n’en pas douter, fait le bonheur !
Robert Bernier