Une belle et grande expérience
Je « côtoie » le « Musée du Québec » depuis ma pré adolescence. Cette institution est inscrite dans mes gènes. Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours suivi les l’actualités qui la concerne. À l’époque, chaque samedi, j’y suivais des cours de dessin avec des professeurs inspirants, dévoués, qui prenaient plaisir à nous faire partager leur passion en nous faisant travailler fort. Chaque semaine, les défis étaient toujours plus grands et aussi palpitants. Quel plaisir et quel apprentissage nous avons eu. Avec le temps, car ça a duré plusieurs années, on connaissait les gardiens par leur prénom. On était chez nous. On s’amusait ferme, mais toujours dans le respect du lieu et des autres. De petite taille, le musée était néanmoins impressionnant et ses salles, nous semblaient immenses. Pour gravir les étages, il y avait ces deux grands escaliers en colimaçon de chaque côté. Sur le mur de l’un, il y avait un immense collage de Riopelle de 1967. Sur le mur de l’autre, un grand Jardin de Pellan. D’ailleurs, on voit encore aujourd’hui leurs ombres claires sur le mur de pierre. Sur le pallier entre deux étages, une sculpture d’Ulysse Comtois en aluminium que l’on transformait à notre guise parce qu’articulée. Dans une corniche un peu plus loin, le Coq licorne de Dallaire. S’était notre terrain de jeu et d’apprentissage. Nous étions au tout début de ce que l’on nomme aujourd’hui, les services éducatifs « modernes ».
Aujourd’hui quand je vais au Musée national des beaux-arts, je ressens de la fierté. C’est ma maison. Quelle transformation. Quel succès. Samedi en arpentant le long corridor pour me rendre à l’exposition des œuvres d’Alberto Giacometti, j’éprouvais du plaisir qu’à marcher dans le long corridor menant à l’exposition. J’étais hors de tout doute dans un grand musée. Et pas que par sa superficie, par son contenu et surtout par la façon qu’on lui donne vie. Ici, les expositions « blockbusters » ne se font pas au détriment de l’art québécois, qui occupe une très belle place. La mission du musée de mieux faire connaître l’art d’ici est toujours bien vivante.
Après avoir marché et vu défilé le grand Hommage à Rosa Luxembourg de Jean Paul Riopelle, puis monter le magnifique escalier qui évoque les noms des donateurs sur les contremarches, nous pénétrons dans le vaste hall du Pavillon Pierre Lassonde. Ce matin-là, les murs étaient recouverts d’aluminium pour la tenue d’un grand gala qui allait se tenir en soirée, et qui pressait l’horaire. En effet, les visites se terminaient à 13 h. Arrivée à l’antichambre de l’exposition. Beaucoup de monde. Ça vient de partout. On dirait que la planète entière s’est donné rendez-vous, on entend plusieurs langues, on peine à avancer. Une fois entrée dans la première salle, la foule est moins compacte, la salle est vaste et lumineuse, rien n’empêche de visiter à son rythme pour peu qu’on ne suive pas un parcours trop linéaire.
La qualité d’une exposition s’établit en premier lieu sur l’atteinte des objectifs fondamentaux. Ici, une rétrospective, se doit de fournir un bon aperçu de l’ensemble de l’œuvre d’un artiste et de son cheminement au fil des ans. On peut dire sans l’ombre d’un doute, mission accomplie. Plusieurs petites sculptures, parfois toutes minuscules, d’un grand intérêt marquent le parcours et nous donnent sinon l’impression d’intimité, une proximité avec l’artiste, comme s’il nous chuchotait à l’oreille. Ça donne un rythme singulier à la visite. Les textes qui accompagnent les différentes étapes de l’exposition sont limpides et instructifs et mettent en contexte les périodes de la vie et de l’œuvre de l’artiste. On présente également quelques artefacts dont un texte de Jean-Paul Sartre sur l’artiste, annoté par Alberto Giacometti. Le tout est présenté avec plusieurs portraits du grand écrivant réalisés par le maître. Le parcours de l’exposition et sa scénographie mettent en valeur les œuvres tout en baignant l’ensemble dans un esthétisme où le bois domine avec élégance et sobriété.
Une exposition de cette envergure se doit d’inclure des œuvres phares. Elles ne sont pas nombreuses, mais elles sont au rendez-vous. En sculpture avec notamment, L’homme qui marche, conçu en 1960. Il existe trois versions différentes de cette oeuvre. Celle exposée à Québec est L’homme qui marche I qui fût édité à dix exemplaires, 3 institutionnelles et 7 courantes. Une de celles-ci a atteint le record de vente pour une sculpture en 2015, avec 141 millions de dollars américains. Le Nez, dont il existe deux versions, une réalisée en 1947 et coulée en 1949 (présentée au Musée), a un tirage de 2 en plâtre et de 6 en bronze. L’autre version a été coulée en 1964. Différente de la première, par exemple, la cage, est plus étroite. Autre point d’intérêt de l’exposition est l’importance accordée à la peinture, car ne l’oublions pas, dans l’œuvre entier d’Alberto Giacometti, elle occupe une place qui n’est pas accessoire. C’est un plaisir de pouvoir admirer la fébrilité et la justesse de ses traits qui donnent naissance au volume des corps et du visage.
Dans les tableaux les dessins portraits de Jean-Paul Sartre sont aussi modestes que magnifiques. Alberto Giacometti travaillait par séquence. Il réalisait plusieurs œuvres sur le même sujet. C’est vrai en sculpture comme en peinture. Ainsi, ses portraits de Caroline, une femme dont il tombe amoureux et de Isaku Yanaihara, philosophe, auteur et ami d’Alberto valent à eux seuls le déplacement, mais que dire de Homme assis, peint en 1949. Mais, vous savez, l’ensemble des peintures et des dessins sont dignes d’intérêt.
Au total plus de 150 œuvres dont plusieurs rarement montrées au public dont plusieurs plâtres. On découvre avec cette exposition toute l’aventure introspective qui habitait l’artiste dont les œuvres, sans être flamboyantes sont d’une grande intensité. Son approche sobre est renversante et nous fait découvrir son véritable sujet, l’espace. Celui qui nous habite comme celui dans lequel notre vie durant nous nous animons jusqu’à ce que notre univers intime implose dans une myriade d’atomes et de molécules.
Grand absent le, Paris sans fin d’Alberto Giacometti. Testament de l’artiste regroupant plus de 150 dessins, cet ouvrage laissé inachevé a été édité de manière posthume en 1969. On raconte que Jean Paul Riopelle, qui connaissait bien les frères Giacometti, se serait inspiré de cette oeuvre ne serait-ce que pour l’élan de son Hommage à Rosa Luxembourg. L’intérêt aurait été redoutable de pouvoir admirer à quelques mètres de distance, les deux oeuvres testamentaires de deux grands maîtres.
En terminant saluons l’excellent travail de Jean Hazel du Musée national des beaux-arts pour sa scénographie inspirante et tellement juste et subtile. Cette exposition sera présentée cet été au Musée Guggenheim, à New York et ensuite au Guggenheim, à Bilbao pour terminer son périple débuté à Londres l’an dernier.
Robert Bernier