Il y a 40 ans, le 25 décembre 1979, décédait Jordi Bonet. Pour souligner ce triste événement, voici un texte d’Édith Farrel. amie de l’artiste
Tenter de trouver les mots justes et leur insuffler l’intensité révélatrice de la qualité de cette relation est en soit un grand défi, mais j’ai confiance que la main qui dépeindra mes pensées, sera accompagnée.
Je venais d’avoir neuf ans quand ses yeux m’ont transpercée.
Ce regard d’une intensité hors du commun, exprimant tant de bonté, mais aussi tellement de questionnement.
Combien d’heures, combien de jours qui se calculent en année, tant de temps passé à ses côtés, très souvent dans un silence quasi absolu; seul le rythme de nos respirations respectives nous rappelaient le monde réel.
Quel émerveillement c’était pour moi de le voir tracer ces lignes qui s’avéraient toujours plus justes les unes que les autres. De son souffle naissaient des dessins parfois simples mais généralement si complexes.
Pour Jordi, l’influence de la mentalité espagnole, imprégnée d’une religion devenue malsaine devenait trop lourde et se devait d’être détournée de lui. Il voyait tant et tant de vieux démons gravés en lui et dont il a eu à se débattre souvent.
Cette inspiration qui l’animait, qui le nourrissait… imprégnée de toutes ces monstruosités incrustées de sa tendre enfance, horreurs qu’il a finalement réussi à transcender à travers cette quête sans fin de lumière, d’authenticité, de bonté et d’humilité.
Combien de larmes avons-nous partagées devant notre petitesse d’êtres humains; élaborant des scénarios d’intervention afin que cette lumière et cette quiétude intérieure grandissent et se propagent autour de nous.
Apprendre à s’arrêter, se choisir, afin de permettre une ouverture vers ce qu’il y a de plus grand en nous. Faire le point sur ce qui a toujours guidé notre vie, nos choix et nos aspirations. Dépasser nos peurs, nos angoisses et les restrictions reliées à notre éducation.
Il m’en parlait comme un mal nécessaire à l’éclosion d’une sérénité intérieure. Isoler démarche spirituelle de la religion telle qu’on nous la présente.
Quel émerveillement de partager cette quête de lumière qui grandit jour après jour en nous quand on réussit à retirer les filtres que nous portons.
Quelle découverte que de ressentir et de choisir l’ÊTRE plutôt que le PARAÎTRE.
Laisser prendre place, offrir le vide à ce silence qui fait naître cet espace de lumière et de paix. Jordi a rencontré cet espace et s’efforçait à lui offrir toujours plus d’importance afin que cette lumière et cette quiétude émanent et grandissent jour après jour. Cette quête de l’absolu qu’il a développée à travers son œuvre, et plus particulièrement les dernières années, était son but ultime et sa raison de vivre.
Ceux qui ont eu le privilège de cheminer ou simplement croiser sa route ont tous ressenti en lui cette beauté et bonté intérieure et l’énergie qui en émanaient. Lors de la réalisation de la murale du Grand Théâtre de Québec, quelle expérience extraordinaire pour toute l’équipe que nous étions d’être initiés, jour après jour, à ce qu’il voulait transmettre sur ces immenses murs; nous étions tous concernés et exécutions avec joie ce que Jordi ne pouvait exécuter lui-même.
Laisser cette lumière guider notre existence afin que chacun puisse se sentir interpelé par cette beauté qui nous habite tous. Jordi a consacré les dernières années de sa vie à nettoyer tout cet espace intérieur afin de pouvoir quitter cette terre dans la quiétude, la lumière et la paix. Son œuvre a été imprégnée de cette quête, de ce désir de grandir et de s’améliorer en tant qu’humain.
Il disait que la seule révolution possible est en nous-mêmes.
Les traces de son trop court passage sur cette terre demeurent gravées pour tous ceux qui ont eu la chance de s’en approcher.
Jordi était un être remarquable, d’une rare intensité.
Edith Farrel