Quête de sens
Martin GignacTrésor trop peu connu de notre filmographie, Sophie Deraspe arrive à faire sa niche au sein d’un cinéma nécessaire et différent.
Elle aime Lars von Trier et Ulrich Seidl. Son œuvre est pourtant loin d’être aussi dérangeante et provocatrice que ces deux maîtres européens. Ce qu’ils ont en commun est ce désir d’expérimenter, de jouer avec les conventions de son médium.
Dès son premier long métrage Rechercher Victor Pellerin en 2006, il était difficile de départager la fiction du documentaire. Ce peintre maudit existe-t-il réellement ou est-ce qu’il s’agit d’une invention créée de toutes pièces? La vérité se trouve probablement quelque part entre les deux.
C’est déjà plus limpide avec Les signes vitaux, ce superbe film qui a vu le jour en 2009 et qui faisait découvrir le talent exceptionnel de Marie-Hélène Bellavance tout en offrant le plus beau rôle en carrière à Danielle Ouimet. Il s’agit d’une histoire scénarisée qui se déroule dans un centre de soins palliatifs. L’ombre du réel n’est cependant jamais loin. Un sentiment qui est renforcé par le mélange de comédiens professionnels et amateurs.
« Je trouve que la réalité dépasse la fiction, explique la charmante cinéaste en entrevue. La réalité est riche : les gens eux-mêmes, leurs réactions, la nature, les éléments. J’aime écrire des fictions, j’aime mettre des éléments en place. Mais après j’ai envie que ça me dépasse, de perdre le contrôle. »
C’est le cas du Profil Amina, ce documentaire de 2015 sur une trahison virtuelle qui a de fâcheuses conséquences. Ou Les loups, paru la même année, qui correspond à une sensible quête du sens de la vie d’une jeune femme de la ville qui débarque au sein d’une communauté tissée serrée des Îles de la Madeleine – le coin de pays du père de la metteure en scène. L’amour de la nature rappelle celui de Catherine Martin, alors que l’ancrage social n’est pas éloigné de celui de Sébastien Pilote. Les thèmes, riches et universels, continuent l’exploration de ses précédentes obsessions : ce bref moment où l’on peut assister au passage de la vie à la mort et à la réflexion qui s’ensuit.
« Ce dont j’ai envie, c’est de créer des liens, confie la réalisatrice et scénariste. Je mets des personnages qui sont en recherche de sens et de liens par rapport à l’autre, où l’on accepte que l’autre nous imprègne et on accepte d’imprégner l’autre, comme étant probablement l’une des choses les plus importantes de la vie. On espère bien gagner notre vie, on espère se réaliser, mais l’important au final, ce sont les liens que l’on crée. »
« Personne ne tourne comme Sophie, admet Evelyne Brochu, l’héroïne des Loups. C’est une directrice de la photographie. Elle a une façon de filmer qui est vraiment personnelle. Je trouve qu’elle va chercher quelque chose à l’état brut, cette espèce de rencontre de la fiction et le réel, d’acteurs et des non-acteurs. Ça apporte quelque chose de fascinant et d’un peu troublant par rapport à ce qu’on regarde. »