Une magnifique surprise!
Paquerette Villeneuve
Lors des années soixante, en voyant les tableaux de Martial Raysse exposés à Paris à la galerie Iolas, on aurait pu craindre d’assister à la naissance d’un peintre mondain. D’autant que de ses longs cils caressant ses yeux verts se dégageait une beauté dans le vent de l’époque, dont rien ne laissait présager qu’il se laisserait dominer par son œuvre. L’influence du pop art sur le jeune Français méditerranéen – en ce temps-là, il partageait son temps entre l’Hôtel Chelsea à New York et Los Angeles, cachait ce que sa démarche avait déjà d’original. La rétrospective organisée à Pompidou cet été a pour conséquence importante de le révéler largement.
Des agglomérations de bouteilles vides de détergents et de jouets d’enfant en plastique,marquent une réorientation des besoins et du goût qu’adoptera d’emblée et non sans esprit provocateur l’artiste.
Raysse accepte d’emblée le monde nouveau et en adopte les emblèmes, en particulier la femme qui entre dans une autre ère, celle des plages et des maquillages luminescents, dont il grossira les effets nourrissants pour son imaginaire. Ainsi de Peinture à haute tension, où bombe aux couleurs fluo et tube néon dessinent le visage, parti-pris esthétique appelé à faire choc, auprès de ses tableaux à géométrie variable. De ce regard où l’enfance n’est jamais absente, il s’est approprié aussi bien le néon pour décrire les lèvres que les Odalisques d’Ingres, pour un parcours mêlant à une modernité flagrante leur classicisme absolu. Il allait même en découvrir le point de fusion, source d’une transition imprévisible mais très productive.
Liées à sa décision prise en 1973 de vivre à la campagne, les œuvres qui composent ce qu’on pourrait appeler le second volet de l’exposition étonnent par les états d’âme qu’elles traduisent, où à la joie succèdent l’inquiétude et la réflexion. Un Jean nu-pieds, général de l’armée de souffrance (1991), Arbre de la connaissance aux cauchemars, Arbre à pomme du jardin d‘Eden, baptêmes de sang, nudités, le tout avec un arrière-goût de Breughel vont servir à évoquer son inquiétude devant l’univers violent que lui fait craindre l’histoire actuelle.
S’il recherche un sens à la vie dans ses mythes grecs réinventés ou ses prophètes de religions diverses peints en pied, ses grandes toiles semblables à des fresques pleines de gens prenant des poses grotesques débordent de ce malaise. Il ne faut pas oublier que le jeune Raysse avait préféré se faire interner plutôt que d’accomplir son service militaire pendant la guerre d’Algérie.
Ce second volet comprend aussi de toutes petites sculptures grigris en papier mâché fort originales dans leur simplicité, et des portraits satiriques plutôt grotesques qui prêtent à sourire, sur fond de recherche philosophique ou métaphysique même. L’enfance y trouve de nouveau sa place avec sa curiosité, son humour et l’innocence qui caractérisent en filigrane l’ensemble de l’œuvre.
(RAYSSE à POMPIDOU JUSQU’AU 23 SEPTEMBRE 2014