Au cours des prochains numéros, en commençant par la présente édition, Parcours a l’intention d’inviter un spécialiste du marché à commenter l’actualité et certains dossiers concernant le marché de l’art. Louis Lacerte, de la Galerie Lacerte Art contemporain, à Québec et maintenant à Montréal, a accepté de donner son opinion sur l’actualité du marché et sur l’art en général. Ses propos seront greffés à cet article. Nous le remercions pour son implication.
Le marché de l’art. Les mots utilisés sont importants et il faut les considérer avec toute leur portée et leur signification. D’abord, il y a le mot marché, qui devrait être au pluriel d’ailleurs, car il y a bien des marchés de l’art. De plus, ces marchés sont bien différents les uns des autres et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ils ne sont pas interconnectés. Chaque marché a ses particularités, son territoire, sa logique, ses acteurs et ses acheteurs. Et c’est ce qui en rend la compréhension difficile pour les non-initiés et même parfois pour les initiés.
Vous situer et définir votre motivation
L’objectif de ces dossiers est de vous permettre d’y voir plus clair, de vous construire petit à petit un argumentaire, des balises, des références et surtout de vous amener à être en mesure de faire des comparatifs. Tout cela afin que vous arriviez à vous situer et à définir vos besoins.
Vous vous intéressez à l’art : pourquoi ? Pour faire de l’argent ? Alors il faudra vous intéresser à l’art historique (les artistes qui ont fait l’histoire, décédés ou non), mais il faudra parfaire aussi vos connaissances, savoir faire la distinction entre une œuvre exceptionnelle, une œuvre correcte et une autre ordinaire. Apprendre les règles du marché en galerie, en encan, bien connaître les prix en cours aussi. Savoir quand vendre et quand acheter. Bref, ça ne s’improvise pas et le métier ne s’invente pas non plus. Beaucoup d’inconnues pour un non-professionnel, mais avec le temps, c’est possible.
Pour laisser à vos petits enfants ? Si l’art est un investissement, celui-ci est généralement risqué et aléatoire. Dans l’idéal, il faut faire l’acquisition d’œuvres exceptionnelles, celles qui sortent du lot. Généralement, vous les paierez plus cher. Qu’importe, vous les vendrez aussi plus cher. Comment les déceler ? Bonne question. Je conseillerais de faire appel à quelqu’un qui connaît bien le milieu, le marché, les artistes et l’histoire et de prendre le temps d’apprendre, de consulter, de visiter les galeries et les musées, de lire et de vous mêler au milieu en fréquentant les expositions.
En encadré
Parcours Arts : Monsieur Lacerte, quel est le rôle des galeries d’art
Louis Lacerte : Le rôle d’un galeriste consiste avant tout à faire des choix. Choix des artistes, choix des œuvres à présenter, choix des outils de diffusion et de commercialisation. C’est un travail d’intuition. Il faut s’assurer que l’équilibre financier soit atteint tout en respectant nos critères de sélection dans le choix des artistes. L’intérêt commercial, bien qu’essentiel à la survie de la galerie, doit arriver après l’intérêt artistique. L’apport du marché secondaire est donc fondamental pour assurer le succès financier de la galerie. Les artistes demeurent libres de produire et la galerie ne dicte pas la production. C’est probablement là que l’on peut voir la différence entre une galerie d’art plus commerciale et notre approche à l’entreprise. Lorsque l’on recrute de nouveaux artistes, notre préoccupation est très simple : est-ce qu’il y a un intérêt visuel d’abord et avant tout. Par exemple, les préoccupations sociales de l’artiste, aussi nobles soient-elles, n’ont guère d’écho chez nous si visuellement le message ou l’émotion ne passe pas. L’œuvre d’art doit être autonome et efficace. L’œuvre doit aussi être inscrite dans une démarche personnelle dans laquelle on peut souvent distinguer diverses influences qui sont somme toute presque inévitables dans notre ère de communication.
La galerie doit soutenir les choix qu’elle fait en favorisant la mise en marché des œuvres de ses artistes et ainsi espérer faire connaître leur travail à un nombre plus important de collectionneurs. Ainsi, chaque année, la galerie participe à des foires telles que la foire internationale d’art de Toronto et publie de nombreux catalogues de ses artistes pour accompagner les expositions solos.
Plus tard, lorsque les œuvres de ses artistes atteignent le marché secondaire, la galerie pourra soutenir le plus souvent possible les prix de leurs œuvres afin de s’assurer que les œuvres ne soient pas bradées, protégeant ainsi le patrimoine de ses collectionneurs.
(fin de l’encadré)
Conseil et remarque personnelle. La zone payante est dans les artistes historiques importants, admirés dans leur milieu, mais pas encore par les collectionneurs, souvent conservateurs, qui regardent longtemps avant de bouger. En 1998, on pouvait facilement faire l’acquisition d’un Ferron de bonne qualité entre de 2000 et 5000 $. Cette année, à l’exposition Gauvreau-Barbeau, Leduc à la Galerie Michel-Ange, on pouvait acquérir des œuvres de Gauvreau et de Barbeau dans les 2000 $, Leduc (format plus grand) pour environ 5000 $. Ça, c’était à ne pas manquer. Certains vous diront que ce sont des œuvres récentes… Puis après, si l’œuvre est de qualité, il faut acheter. D’autant plus que les œuvres tardives sont loin d’être des navets. Ce qui était offert chez Michel-Ange était tout à fait correct. Autre exemple : Edmund Alleyn. Personnellement, j’aime bien toutes les périodes avec un faible pour les dernières. On peut aujourd’hui faire l’acquisition d’un Serge Lemoyne pour plus ou moins 3000 $, notamment de sa dernière période, Trous noirs et Hommage à Matisse. Il y a encore de bonnes affaires avec des artistes comme Jean-Paul Jérôme, Fernand Toupin. Fritz Brandtner, Roland Giguère, Monique Charbonneau (dont les dernières œuvres sont fabuleuses)… La liste est longue. Dans cette zone, vous ferez à coup sûr l’achat d’une œuvre d’un artiste qui va rester. Une œuvre qui va enrichir votre regard et votre quotidien et qui possiblement saura garder sa valeur et même fructifier. Mais il faut savoir acheter. Il faut d’ailleurs saluer la perspicacité de Simon Blais qui a su mettre en lumière plusieurs artistes historiques qu’on avait semble-t-il oubliés grâce à ses importantes expositions des œuvres de Marcelle Ferron, Jean McEwen, et Charles Daudelin, entre autres. Auparavant, Bernard Desroches avait réussi un grand coup au début des années 1970 en sortant des oubliettes le peintre Henri Beau… et il y en a d’autres.
Encadré
Prix Ferron et Serge Lemoyne
Parcours Arts : Monsieur Lacerte votre opinion sur les résultats de la vente du printemps de la maison Sotheby’s, de Toronto, plus particulièrement ceux des œuvres de Marcelle Ferron et de Serge Lemoyne.
Louis Lacerte : Les récents résultats des ventes de Marcelle Ferron reflètent le fait que la demande pour ses œuvres et pour celles de ses collègues automatistes en général est très forte même à l’extérieur du Québec et que l’offre d’œuvres importantes de ces artistes est de plus en plus restreinte. Voir deux œuvres de relativement petite taille frôler les 100 000 dollars en salle illustre bien le phénomène. La même chose est observable pour Jean Paul Lemieux. Il est maintenant extrêmement difficile de trouver des œuvres de qualité de cet artiste sur le marché et c’est pourquoi il ne faut pas s’étonner de voir une de ses œuvres franchir le million en salle de ventes.
même si ce prix demeure en-dessous des prix en galerie. La génération d’artistes dont fait partie Lemoyne, avec Jacques Hurtubise notamment, entre tranquillement sur le marché des ventes publiques. Leur place dans l’histoire de l’art est évidente et tôt ou tard on verra les prix publics dépasser les prix pratiqués en galerie, car l’offre d’œuvres importantes pour ces deux artistes demeure somme toute très restreinte
(Fin de l’encadré)
Dès le départ, nous devons préciser ceci : ne cherchez pas de réponses toutes faites et des recettes universelles. S’intéresser à l’art implique avant toute chose un investissement personnel. Indispensable. L’art visuel est un monde, un univers. Il est peut-être passionnant, mais avant d’y plonger, définissez vos attentes et vos espérances et sachez que sa plus grande richesse, vous la saisirez par vos sens et par votre esprit. Tant mieux si le portefeuille en profite mais cela n’aura rien d’instantané et il est illusoire de penser qu’il puisse s’agir d’un investissement financier facile.
Encadré
Une œuvre de Jean Paul Lemieux atteint un prix record lors d’une vente aux enchères
Le 17 mai dernier, lors d’une importante vente aux enchères à Vancouver, l’œuvre Les Moniales (1964) de Jean Paul Lemieux s’est vendue à 1 023 750 $. Depuis quelques années, la poussée vers le haut pour les œuvres de Jean Paul Lemieux est constante. Le tableau Les Moniales ainsi que Dimanche (1966), une autre œuvre de Lemieux mise en vente le même soir et qui a atteint la somme de 819 000 $, faisaient partie de la collection d’Edgard et Dorothy Davidson. Edgar Davidson est né en Allemagne et il a émigré au Canada dans les années 1920. Il a fait carrière dans le monde de l’enseignement. À la fin de sa carrière il a été directeur et coordonnateur des plans de développement éducatif à la Commission des écoles protestantes du Grand Montréal. Sa femme Dorothy est née à Joliette. Elle était, dit-on, une musicienne accomplie. Et ils étaient des collectionneurs éclairés, et pas seulement de tableaux. Ils ont fait don à la Mount Allison University d’une très importante collection de livres anciens du Canada en 1969. On raconte que leur collection leur a coûté dans les 30 000 $. La vente de 34 de leurs œuvres le 17 mai dernier chez Heiffel a rapporté près de 5 000 000 $.
(Fin de l’encadré)
Retournons dans le temps, en 1960. À cette époque, il y a une réelle effervescence qui touche surtout la peinture actuelle du temps. L’abstraction règne en maître. Plusieurs galeries voient le jour, un nombre important d’artistes, alors émergents, exposent. Alfred Pellan a 54 ans, Borduas meurt en février, ils avaient le même âge (il aurait eu 55 ans en novembre). Une nouvelle génération pousse, Jean-Paul Riopelle n’a que 37 ans et déjà il est une étoile de la peinture. La plupart des signataires de Refus Global n’ont pas 40 ans : Pierre Gauvreau a 38, Marcelle Ferron 36, Jean-Paul Mousseau 33, Claude Gauvreau 35, Marcel Barbeau 35. Il en va de même pour les autres : Armand Vaillancourt a 31 ans, Robert Roussil 35… Montréal bouge, cette décennie sera l’une des plus florissantes de notre jeune histoire de l’art. Nommez-moi dix autres artistes actifs à cette période et dont l’œuvre se transige toujours aujourd’hui en galerie ou à l’encan et vous ne serez pas très loin du compte de ceux et celles qui sont restés, et ce, sur deux générations. Au total, on en comptera peut-être une cinquantaine, pas beaucoup plus, au Québec bien sûr. Et encore, côté marché, ils ne sont pas tous égaux… Envoyez votre réponse à info@iparcours.com.
Encadré
Les artistes les plus chers sur le Marché international ?
C’est un peu selon la source ou l’angle par lequel on regarde cet aspect de l’art… Une chose est certaine, la tendance est là et va se confirmer dans les prochaines années : les artistes chinois commencent sérieusement à s’imposer. Selon Art Price, la seconde place pour l’œuvre d’art contemporain s’étant vendue le plus cher en 2010 est d’un artiste chinois, Chen Yifei, peintre et cinéaste (1946-2005), son œuvre String Quartet ayant été adjugée à près de sept millions de dollars américains. Toujours selon Art Price, les meilleures ventes en art contemporain entre le 1er juillet 2009 et le 30 juin 2010 ont été des œuvres des artistes suivants :
1. Peter Doig, 6,01 millions d’euros pour Reflection (10-11-09 chez Christie’s à New York)
2. Chen Yifei, 5,62 millions d’euros pour String Quartet (29-05-10 chez Christie’s à Hong Kong)
3. Maurizio Cattelan, 5,5 millions d’euros pour une œuvre de 2001 (12-05-10 chez Sotheby’s à New York).
À souligner, 18 œuvres de Basquiat (1960-1988) ont été vendues en encan en 2010 pour plus d’un million de dollars, parmi lesquelles :
1. Stardust (1983) pour 6,4 millions de dollars américains
2. Dos Cabezas pour 6,25 millions de dollars américains
3. Riddle me this Batman pour 5,5 millions de dollars américains
4. Self Portrait as a Heel pour 5,2 millions de dollars américains.
(Fin de l’encadré)
Si vous ne connaissez rien au marché des valeurs mobilières, allez-vous y investir votre argent sans réfléchir et sans consulter ? Et quel niveau de connaissances allez-vous exiger des gens que vous consulterez ? En somme, à qui demanderez-vous conseil ? Si vous ne connaissez rien à la mécanique automobile, allez-vous misez au premier encan d’auto venu ? Achèteriez-vous une maison sans réfléchir et sans faire appel à l’expertise de professionnels ? Non, sans doute. Et si je vous demande, achèteriez-vous des tableaux et des œuvres d’art sans réfléchir même si vous ne possédez aucune expertise ou connaissance dans ce domaine ? Plusieurs d’entre vous ont répondu oui. Et cela fait partie des paradoxes. D’une part, on se dit que l’art est avant tout une question de goût. C’est personnel. Certes, j’en conviens. Mais relativement rapidement, selon votre profil d’acheteur, vous vous rendrez compte que ce milieu est vaste et rempli de pièges et que finalement, faire l’acquisition d’une œuvre d’art est aussi une question d’argent. Immanquablement surgira cette interrogation : ai-je payé un juste prix ? Qui en amènera une autre : qu’est-ce qu’un juste prix ? Le rapport, votre rapport à l’argent et celui que vous entretenez avec l’art seront importants à identifier. Quelles sont vos motivations ? Voilà la première et la plus importante question à laquelle il faut répondre.