« Le difficile, le compliqué qui aura un long parcours à faire avant d’atteindre la sérénité d’un équilibre plus stable, peut-être moins précieux. Émotivité intense en pleine évolution. Venus on ne sait comment de la légendaire Byzance, des prêtres, des prêtresses assistent immobiles à une étrange séance de transmission. Quelquefois la lune sur un piédestal les éclaire et les regarde par la fenêtre sans comprendre. De ces scènes d’intérieurs lumineux venus du fond de la nuit nous nous réveillons à l’aurore dans d’innombrables châteaux multicolores construits sur d’inaccessibles rochers entre ciel et terre. Nous avons cru à l’avènement de la transmutation. Depuis Marcel continue à ne pas nous ménager les surprises. »
Paul-Émile Borduas, Indiscrétions (1947-1948)
Son exploration est riche, variée et d’une densité insoupçonnée. Multidisciplinaire, Marcel Barbeau touchera dans sa carrière à la peinture, à la sculpture, à la performance, à la danse… Depuis ses débuts, son langage a su se moduler sur plusieurs modes de transcription et toujours avec surprise. Au fil de sa carrière, sa peinture épousera les courants les plus significatifs depuis les années 1940. Pourtant, lui, un compagnon de Borduas, un artiste accompli, n’a jamais obtenu le prix Paul-Émile-Borduas, et ce n’est pas parce qu’il n’y a jamais eu de mise en candidature. Dix-huit fois ! Vendetta ? Comment expliquer autrement une telle situation ? Le milieu des arts visuels semble bien sectaire dans ses choix. Ainsi, la plus grande distinction du Québec pour les artistes en arts visuels lui échappe immanquablement. Marcel Barbeau ne s’en indigne pas cependant. Il en a vu d’autres, mais n’empêche, comment expliquer l’inexplicable ? Dans les faits, les soixante années de création artistique de Marcel Barbeau constituent un long et fructueux parcours qui, comme l’écrivait avec lucidité Borduas, étonne toujours. Et cela même si la critique québécoise a, au cours de sa carrière, souvent été déconcertée par certaines de ses explorations. Pourtant, il y a bien un fil conducteur entre les différentes périodes de l’artiste.
Si on prenait des œuvres de toutes les périodes de Marcel Barbeau, qu’on les plaçait devant nous, on verrait une progression de la forme qui se détache progressivement du chaos pour s’ordonner sur la surface avec la complicité de la couleur. Une complicité particulièrement efficace qui s’accentue au détriment d’une gestuelle présente dans certaines périodes. Un geste, un élan qui cherchait toujours à débusquer le rythme de manière explicite. Dans les œuvres des trente dernières années celui-ci est devenu implicite et néanmoins présent. L’œuvre de Barbeau a toujours été étroitement lié au rythme, et ce, depuis le tout début. Cependant, depuis la fin des années 1980, il le fait avec plus de maîtrise puisqu’il laisse la forme, la surface et la couleur ordonner la danse. Il n’est pas nécessaire d’y ajouter le geste, il est devenu superflu. Comme si enfin il avait trouvé cette sérénité dont parlait Paul-Émile Borduas dans ses Indiscrétions.
On ne le souligne pas souvent mais les conjointes et les conjoints jouent souvent un rôle déterminant dans l’œuvre des artistes. Marcel Barbeau et Ninon Gauthier partagent leur vie depuis plusieurs décennies déjà. Indispensable, qualifie Barbeau à propos de l’importance de sa conjointe dans son périple artistique. Critique d’art émérite, elle a terminé il y a quelques années un doctorat à la Sorbonne, à Paris. Ninon Gauthier est ce que l’on appelle une lettrée, une femme de grand savoir. Comme critique d’art elle a marqué l’art québécois par ses nombreux écrits d’analyse où l’économie et la sociologie apportaient un éclairage différent par rapport aux critiques artistiques de l’époque. Dans les années 1980, elle a été l’auteure d’innombrables articles de fond sur le marché de l’art dans une publication d’affaires de Montréal. L’impact de ces textes a été considérable sur le marché de l’art québécois et n’a jamais été égalé. Son apport à l’œuvre de Marcel Barbeau repose sur sa grande capacité d’analyse qui se révèle toujours des plus éclairantes.