La fierté en chemise à carreaux: Jos MontFerrand, le plus célèbre des cageux Canadien-Français.3e et dernière partie
par Daniel A. Bellemare
L’empreinte régionale
Comme celle de son talon, les exploits de Jos Montferrand ont aussi laissé une empreinte indélébile sur la région de l’Outaouais. On peut penser par exemple au défunt “Festival des Raftsmen” fondé à la fin des années 1960 par l’homme d’affaires Bernard Pelletier (1929-2015), qui offrait entre autre activités, courses de canot, compétitions de coupe de bois, de lancer de la hache, d’escalade de poteaux et de marche sur les billots; dans le même élan historique, on retrouvait à cette époque, la défunte “Brasserie Les Raftsmen” (1969-2004), établissement iconique de Gatineau (secteur Hull) aussi fondée par Bernard Pelletier et où se sont produits nombre d’artistes célèbres (29).
A Gatineau, la familiarité du nom Jos Montferrand est telle qu’elle en a pratiquement fait un nom commun. Ainsi, malgré les objections de certains membres du barreau local qui voyaient d’un mauvais oeil le fait qu’un palais de justice porte le nom d’un “coureux de tavernes”, le Palais de Justice de Gatineau est abrité depuis 1996, dans les murs de l’”Édifice Jos-Montferrand”; il s’agirait d’ailleurs du seul édifice public du Québec à porter le nom de Jos Montferrand. Outre le palais de justice, plusieurs autres endroits portent aussi ce nom de légende: en mai 2016, la ville de Gatineau officialise la création d’une rue portant le nom Jos-Montferrand (30); on retrouve aussi un Centre de la petite enfance, un bar, des pavillons, etc, qui arborent fièrement le nom légendaire.
En 2017, une imposante structure métallique à l’effigie de Jos Monteferrand, fut recouverte de végétation pour être ensuite incorporée à l’exposition horticole internationale “Mosaïcultures Gatineau 2018” tenue au Parc Jacques-Cartier de Gatineau. Après l’exposition, cette magnifique création fut cédée à la ville de Gatineau pour être ensuite ré-installée le long du sentier culturel de Gatineau à l’angle des rues Montcalm et Hanson; “l’Association des Neurotraumatisés de l’Outaouais (ANO)” fut mandatée, sous les auspices de Vision Centre-Ville de Gatineau, pour confectionner un foulard en laine géant à l’image du personnage. Tricoté par six volontaires, l’énorme foulard multicolore a requis 500 heures de travail de la part des volontaires impliqués; cette courtepointe longue de 5,5 mètres permet, depuis le mercredi 24 février 2021, de réchauffer symboliquement cette magnifique sculpture éphémère! (31). La Microbrasserie du Lièvre de Mont-Laurier a également profité de la notoriété du géant pour lancer une bière qui porte son nom: La bière “JOS Montferrand”.
Le nom du légendaire chef de cage est aussi connu sur l’autre rive de la rivière des Outaouais; ainsi, en 2009, la Fiducie du patrimoine ontarien reconnaissait Jos Montferrand comme personnage d’importance historique provinciale en Ontario en dévoilant une plaque dans l’ancienne église St Brigid’s de la Basse-ville d’Ottawa. En 2014, inspiré par la légende québécoise, le nom de la mascotte du Rouge et Noir, l’équipe de football professionnelle d’Ottawa, a été choisi suite à un concours. Originalement nommée “Big Joe Mufferaw”, le nom choisi pour cette mascotte à l’effigie de Montferrand a créé une certaine controverse; en effet, le nom “Montferrand” rendu en anglais par “Mufferaw”, résultait d’une mauvaise prononciation en anglais du nom Montferrand, qui constituait un affront à l’héritage francophone du géant Canadien-Français; le nom de la mascotte fut donc modifié pour devenir simplement “Big Joe” en anglais et “Grand Jos » en français.
Au-delà de l’Outaouais
Évidement la reconnaissance de Monterrand a débordé les frontières de l’Outaouais. Ainsi, un parc du centre-ville de Montréal rappelle aussi sa mémoire, de même qu’une rue de la ville de Québec. En 1992, Postes Canada immortalisait Jos Montferrand par l’émission d’un timbre commémoratif intitulé “Jos Monferrand, Bûcheron légendaire – Legendary Lumberjack”.
En 1929, Mary Travers, dite “La Bolduc”, chantait “Johnny Monfarleau” alors qu’en 1959, c’était au tour d’un autre géant, le grand Gilles Vigneault, d’honorer la légende de l’homme fort dans la chanson “Jos Montferrand”. Du côté anglophone, en 1976, plus de trente ans avant la controverse soulevée par le nom de la mascotte de l’équipe du Rouge et Noir, Montferrand fut célébré, sous le nom de “Joe Mufferaw”, par le chanteur country Charles Thomas “Stompin’ Tom” Connors (1936-2013) dans sa chanson “Big Joe Mufferaw”(32). Une pièce de théâtre fut écrite en son honneur par Louis Guyon en 1903 alors qu’en 1989, “le Théâtre lyrique de Hull souligne son 25 ième anniversaire en présentant au musée des civilisations (devenu depuis le Musée de l’Histoire) la comédie musicale La légende de Jos Montferrand”.(33)
À partir des années 1950, la statuette de “Monsieur 50”, un bûcheron à l’effigie de Jos Montferrand, a longtemps servi de vecteur publicitaire pour annoncer la bière “Labatt 50”.(34) On retrouve d’ailleurs à plusieurs endroits au Canada des statues de Jos Montferrand dont la dimension reflète l’importance du personnage; en 2005, une énorme statue de Montferrand sculptée par Peter Cianafrani fut érigée à l’extérieur du musée de Mattawa; une sculpture de Montferrand se retrouve aussi à North Bay en Ontario. Au Québec, le sculpteur Roger Langevin réalisait en 1996 la sculpture “Jos Montferrand le défricheur” installée à Saint-Aimé-du-lac-des-îles dans la MRC Antoine-Labelle dans les Laurentides. En 2022, une statue de Montferrand fut inaugurée à la Maison des cageux du Fleuve Saint-Laurent à Lanoraie au Québec et la même année, c’est le personnage de Montferrand, sculpté par l’artiste populaire Guy Montembeault de Drummondville, qui se méritait à Plaisance en Outaouais, le premier prix d’un concours de sculptures géantes organisé par la Maison des créateurs d’art populaire du Québec.
La fierté en chemise à carreaux
Les exploits légendaires de Jos Montferrand, un géant bien de chez nous, auront permis à nos ancêtres d’exceller par association et de se valoriser en s’identifier à un gagnant plus grand que nature; même si elles ont été largement exagérées, les qualités physiques et morales exhibées par Montferrand à travers ses exploits, correspondaient parfaitement à l’idéal canadien-français de l’époque, une sorte de “fierté en chemise à carreaux”.
L’archiviste Michel Prévost notait avec raison qu’il “faudrait être un peu naīf aujourd’hui pour croire à toutes les prouesses de Montferrand. Pour nous, son plus grand exploit est le fait qu’il demeure, plus de deux siècles après sa naissance, bien vivant dans notre mémoire”.(35) Force nous est donc de conclure avec Gérard Goyer et Jean Hamelin que “Jos Montferrand attend toujours son historien ou son folkloriste. Dans les conditions actuelles de la recherche, il est impossible de faire la part de l’histoire et de la légende, de restituer tant au voyageur qu’à l’être folklorique, leur dimension réelle.”(36)
29. Daniel Leblanc, Le “Raftsman” s’éteint à 85 ans, journal Le Droit, 28 mai 2015; Denis Gratton, Le retour des Raftmen, journal Le Droit, 30 mai 2018.
30. On se souviendra que lors de la fusion des villes de Hull, Aylmer et Gatineau, bien que faisant partie des choix proposés lors d’un concours populaire organisé pour identifier le nom de la nouvelle ville, le nom de Jos-Montferrand n’avait pas été retenu.
31. La statue de Jos Montferrand prend des couleurs grâce à un foulard, ICI Ottawa-Gatineau, le 1 er mars 2021
32. www.stompintom.com
33. Michel Prévost, Jos Montferrand, de la légende à la réalité, (2005) Histoire Québec, vol 11, no 1, juin 2005, page 40.
34. Marie-Claude Ducas, Jacques Bouchard – le créateur de la publicité québécoise, Ed Québec Amérique, Montréal, 2014, page 55.
35. Michel Prévost, idem
36. Gérard Goyer et Jean Hamelin, “MONTFERRAND, dit Favre, JOSEPH”, op.cit.