La fierté en chemise à carreaux: Jos MontFerrand, le plus célèbre des cageux Canadien-Français.2e partie
par Daniel A. Bellemare
Des exploits plus grands que nature
Au fil des ans, les exploits de Jos Montferrand d’abord relatés en 1868 par le jeune Wilfrid Laurier et par l’historien trifluvien Benjamin Sulte en 1883 (15), ne cessèrent d’être embellis et amplifiés au point d’acquérir cette résonance mythique qui a finalement transformé ce simple bûcheron en personnage de légende: “[…] il chassait les ours à mains nues. Dans les auberges il étampait son pied au plafond. Dans les chantiers forestiers où il s’engageait, au lieu d’abattre les arbres à la hache, il les déracinait. Connu comme un redresseur de torts, il était la terreur des Anglais de la région de Hull et Ottawa […]”(17).
Le fameux coup de pied que Montferrand considérait comme sa “carte de visite” aura constitué la plus mémorable de ses prouesses physiques. Il aurait en effet pris l’habitude de régler son addition en laissant, dans les tavernes qu’il fréquentait, cette fameuse “carte de visite”: d’un solide coup de pied, il incrustait l’empreinte de sa botte au plafond de l’établissement. Selon la légende, nombre de tenanciers de la région auraient prétendu posséder l’empreinte de Jos Montferrand au plafond de leur taverne; on rapporte par exemple que, c’est grâce à cette fameuse carte de visite que la tenancière de l’auberge “Inn of the Pretty Widow” aurait fait fortune, les gens affluant de plusieurs lieux à la ronde pour voir la légendaire carte de visite (18); Montferrand aurait aussi laisser sa trace à l’Hotel British d’Aylmer (19). Certains ont même tenté d’immortaliser en poésie cette unique carte de visite; ces quelques vers anonymes en font foi:
“Quand il signe,
Son talon
Égratigne
Le plafond”.(20)
Le bras droit de Montferrand dans sa lutte contre les “Shiners”, un certain Vital Émard dit Potvin, aurait aussi pris l’habitude d’étamper le plafond de son talon; c’est ce qu’il aurait d’ailleurs fait à l’hôtel Lafontaine de Thurso, en Outaouais (21).
Ne pouvant tolérer l’injustice, Jos Montferrand n’acceptait surtout pas qu’on insulte sa race. On rapporte par exemple que, dans un bar de la Place d’Armes à Montréal, il aurait sérieusement corrigé un officier britannique qui s’amusait à insulter les Canadiens-français: “Any more insults for les Canadiens? aurait-il ensuite lancé au groupe d’anglophones qui accompagnait le militaire britannique (22). Outre la justice, c’était l’honneur qui le motivait. Ainsi, après avoir battu le champion boxeur de la “British Navy”, il aurait alors refusé l’argent qu’on lui offrait, demandant que l’importante somme de 2,000$ associée au pari soit plutôt remise au champion qu’il venait de battre: “He’ll need it more than me to put his carcass back in shape. I never fight for money. Only for a cause.”(23)
Les exploits de Jos Montferrand ont aussi fait le régal des sculpteurs d’art populaire dont plusieurs ont immortalisé sur bois les divers exploits du géant en chemise à carreaux. Alors que Montferrand est normalement représenté avec la jambe élancée, prête à incruster l’empreinte de son talon au plafond d’un établissement, un sculpteur anonyme a plutôt choisi d’immortaliser ses exploits en reproduisant la fameuse bataille de 1829 au pont Union: cette rare sculpture représente Montferrand en pleine action, balayant avec l’un d’eux, les autres malfrats qui l’attaquaient (24).
Mais quoiqu’il en soit, selon Hector Legros, Montferrand n’aimait pas la bagarre: “[…] il règle son humeur d’après la justice et le droit”. C’est ainsi qu’il fut forcé en maintes occasions [d’] intervenir et [de] faire sentir la force de ses bras, la dureté de ses poings et la souplesse de sa botte”. Loin d’avoir été un barbare ne pouvant s’exprimer qu’avec ses poings, Jos Montferrand aurait plutôt été un gentilhomme aux bonnes manières et à l’esprit chevaleresque: ”Danseur incomparable, précise Sulte, un peu poseur comme tous les beaux garçons […] À table, gai et poli, à la mode des anciens seigneurs. […] La postérité se tromperait grandement si elle en faisait un hercule mal dégrossi, avide de luttes et rude envers les autres comme il l’était parfois pour lui-même […] Il y avait un fonds de chevalerie dans son cœur et dans son imagination. Au Moyen Âge, il eut porté la lance et la hache d’armes avec éclat, pour Dieu, sa dame et son roi.”(25)
L’impact social de Montferrand
Au delà de sa force physique, le mérite de Jos Montferrand fut surtout d’avoir été un redresseur de torts au service de tout un peuple. Il avait en quelque sorte ranimé la fierté volée par la Conquête de 1759 en combattant “contre l’orgueil injuste des conquérants de la Nouvelle-France”. Il avait ainsi “engendré un sentiment d’espoir et d’auto-valorisation” des Canadiens-français (26). L’étendue de l’influence sociale de Montferrand peut d’ailleurs surprendre. Héros populaire, ses exploits auront su s’adapter pour traverser les lieux et les époques afin de répondre au besoin de valorisation de ceux qui vénéraient ce défenseur des opprimés.(27) Jos Montferrand aura, somme toute, connu deux destins: “celui que lui assigne la tradition orale [folklorique] et celui que lui fixèrent les prosateurs”.(28)
À suivre…
15. Benjamin Sulte, Histoire de Jos Montferrand, l’athlète canadien, Montréal, ed J.B. Camyre, 1883.
16. Benjamin Sulte, idem
17. Jean-Claude Dupont et Jacques Mathieu, Héritage de la francophonie canadienne – traditions orales, Presses de l’université Laval, Sainte Foy, 1986, 269 pages, page 125.
18. Joan Finnigan, Giants of Canada’s Ottawa Valley, 1981, page 26.
19. Michel Prévost, Jos Montferrand, de la légende à la réalité, revue Histoire Québec, 2005, vol 11, no 1, pages 37-40.
20. Léon-A, Robidoux, Les Cageux, Ed de l’Aurore, Montréal, 1974, 92 pages, à la page 70
21. Michel Prévost, Le bras droit de Jos Montferrand, journal Le Droit, le 8 novembre 2021
22. [TRADUCTION] “Y en a-t-il d’autres qui ont des insultes à l’endroit des Canadiens?”; Joan Finnigan, Giants of Canada’s Ottawa Valley, op.cit, pages 17 et 19.
23. [TRADUCTION] “Il en aura plus besoin que moi pour se remettre debout. Je ne me bats jamais pour de l’argent. Seulement pour une cause”; Joan Finnigan, op.cit., page 19.
24. Cette rare sculpture non signée fait partie de la collection du Musée du Château Ramsay à Montréal: voir Catalogue de l’exposition “L’art populaire: l’art naïf au Canada”, Galerie nationale du Canada, Ottawa, 1973, 165 pages, à la page 137; Joan Finnigan, Giants of Canada’s Ottawa Valley, 1981, page 24. Léon-A. Robidoux, Les cageux, Ed de l’Aurore, Montréal, 1974, 92 pages, à la page 70
25. Gabrielle Poulin, Les légendes historiques du Canada-français, Ed GID, Québec, 2021, 194 pages 143-148.
26. Citation de Benjamin Sulte reprise par Raymond Ouimet, Le légendaire Jos Montferrand, journal Le Droit, le 21 mars 2021
27. Jacques Mathieu et Jacques Lacoursière, Les mémoires québécoises, les Presses de l’université Laval, Sainte-Foy, 1991, 383 pages, page 323.
28. Gérard Goyer et Jean Hamelin, “MONTFERRAND, dit Favre, JOSEPH”, dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto).