Le discret Musée des maîtres et artisans du Québec (MMAQ) a réussi un coup de maître en osant inviter une artiste de renommée internationale à exposer au cœur de la chapelle qui l’abrite. L’acceptation de l’artiste a donné lieu à un événement de qualité en harmonie symbiotique avec la mission du musée.
La mission du musée est de valoriser les métiers d’art tout en favorisant une action socialement engagée ainsi qu’un effort de rapprochement interculturel. L’instigateur et énergique directeur du musée, Pierre Wilson, explique : « Judy Chicago est une artiste à part entière, qui a touché à plusieurs médiums comme le tissage, la céramique, le dessin, la peinture et le verre, des métiers d’art dont nous soutenons la visibilité. Nous partageons ses convictions telles que l’amélioration du monde par la prise du pouvoir des femmes, le dialogue entre les groupes culturels, puisque c’est une réalité de notre secteur (51 % des résidants de l’arrondissement Saint-Laurent sont nés à l’extérieur du Canada), et les projets de collaboration. »
De son vrai nom Judith Cohen, l’artiste est née en 1939de parents activistes à Chicago, son parcours artistique s’étend sur quatre décennies et a marqué l’histoire de l’art en questionnant les rôles sociaux typiquement attribués aux femmes et en proposant une rectification des oublis. Artiste, féministe, auteur, enseignante, les nombreux chapeaux qu’elle arbore témoignent d’un être passionné en perpétuelle réflexion, particulièrement sur les questions sociales. Travaillant longuement sur chacun de ses nombreux projets multimédias, elle fait régulièrement appel à des artisans expérimentés pour exécuter sa vision dans les métiers traditionnels qu’elle choisit. Décriée pour cette pratique dont les critiques y voient une entrave à l’authenticité, elle a maintes fois soulevé l’ire des acteurs principaux du monde de l’art au cours de sa carrière en dénonçant l’attitude patriarcale qui le gouverne.
Verre à voir
Sachant que plusieurs musées montréalais considéraient la possibilité d’organiser Montréal ville de verre en 2010, Pierre Wilson a simplement écrit à l’artiste, en anglais s’il vous plaît, pour lui proposer son musée comme lieu d’exposition. À sa grande joie, Judy Chicago a accepté l’invitation ! En outre, la minuscule équipe du MMAQ (quatre employés) a pris l’initiative de modifier la présentation de certaines pièces et de construire des présentoirs illuminés, avec l’autorisation d’abord hésitante de la créatrice, puis avec sa chaude approbation lors du vernissage.
Comptant 16 pièces et un vitrail intitulé Rainbow Shabbat, l’œuvre maîtresse de l’exposition, la mise en scène des œuvres de Judy Chicago est particulièrement réussie. Sous la nef de l’ancienne chapelle, les bustes de verre, résine et bronze ainsi que les gravures/peintures sur verre sont baignées d’une lumière qui rend justice à leur matière et à la finesse des détails de leur exécution. Une série de mains en verre moulé expose la capacité expressive ainsi que la symbolique associée à la main humaine.
Mais le cœur de cette exposition est sans contredit le grand vitrail Rainbow Shabbat (1992), symbolisant une vision d’espoir pour un monde en harmonie. Des personnages de différentes cultures sont unis à table dans une gestuelle pacifique, rendant hommage à l’hôtesse, comme le veut la tradition juive dont est issue Judy Chicago. Plus qu’une référence israélite, il synthétise la vision de l’artiste pour le respect du féminin comme premier pas vers un monde pacifique et juste.