On the Road again
Jusqu’au 17 mars 2024 au Carrefour culturel Paul-Médéric, au 4 rue Ambroise-Fafard, à Baie-Saint-Paul dans Charlevoix, vous avez l’occasion unique de renouer ou de découvrir les œuvres de l’un des artistes les plus importants de la modernité du Québec. Malgré une carrière active et riche en création, son apport reste toutefois peu connu pour plusieurs amateurs d’art. Pas de tous cependant, car Denys Morisset a marqué sa génération et la vie culturelle de Québec pendant plusieurs décennies de 1948 jusqu’à son décès le 25 janvier 1990. Né à Paris en 1930 il est l’auteur de plus de 3 000 œuvres. Au fil des années et de ses périodes de création il a exploré plusieurs techniques, dessins à l’encre, au feutre, à la chandelle (humografie) émaux sur cuivre, peintures, gravures, sculptures, photographies anamorphiques.
Le commissaire et initiateur de cette impressionnante exposition regroupant plus d’une centaine d’œuvres en deux endroits distincts de Baie-Saint-Paul est Pierre Bernier. Un ami indéfectible de l’artiste qui depuis plus de trente ans sauvegarde et propage la mémoire et la trace de cet artiste incontournable et innovateur. Pour plus d’information et pour connaitre l’horaire d’ouverture de l’exposition composez le, 418 806-5738.
Denys Morisset, 1930 – 1990, jusqu’au 17 mars 2024 au Carrefour culturel Paul-Médéric, au 4 rue Ambroise-Fafard, à Baie-Saint-Paul, Charlevoix, QC.
Vous connaissez peu l’œuvre de Denys Morisset ? Voici un aperçu de son parcours artistique…
Si vous croyez que tous les artistes de talent ont été découverts de leur vivant ou après leur mort. Qu’aucun génie n’a échappé au regard « perspicace » des collectionneurs, des chercheurs, de tous ceux que l’on appelle les « spécialistes » de l’art. Alors votre vision de ce milieu est cousue de fils roses.
Et si Modigliani avait vécu à Québec ? Croyez-vous qu’il aurait pu occuper une place dans l’histoire de l’art moderne comme cela a été le cas dans son existence réelle ? Cette question vous semble incongrue ? J’admets qu’elle est tirée par les cheveux. Pourtant. Elle n’est pas sans amener une réflexion sur le dénouement d’une carrière artistique versus le contexte dans lequel elle se pratique. Celui de l’époque, des compétences et des rencontres sans oublier la volonté qui anime, ou pas l’artiste concerné. La question est aussi prétexte à établir un lien avec un créateur multidisciplinaire qui a travaillé et vécu à Québec pendant la presque totalité de sa vie. Un Amadeo Modigliani à sa manière. Son nom ? Denys Morisset .
Certes faire une comparaison entre Amadeo Modigliani et Denys Morisset est à la limite de l’hérésie. Et, s’il avait lu ceci, il n’en serait pas resté là. Il aurait aimé en débattre. Il aurait voulu fouiller ce qui suggère cette idée par curiosité et aussi parce que discuter était son sport favori. Il appréciait les échanges et les joutes oratoires. Un art qu’il pratiquait tous les mardis soir pendant plus de dix ans. Dans son immense loft de la rue Saint-Paul à Québec Denys animait les Salons du mardi où amis es, connaissances et connaissances de ses amis es venaient chez lui boire un verre et discuter librement. C’était le rendez-vous culturel où l’on pouvait croiser des célébrités comme des artistes en devenir en passant par tous les acteurs de la vie culturelle du Québec.
Bien sûr Modigliani et Morisset n’ont pas vécu à la même époque ni œuvré sur le même continent. Mais ce n’est pas de leur travail respectif qu’il est question. Plutôt de certains traits de personnalité qu’ils partagent et de leur destin respectif dont un des dénominateurs communs aura été leur propension à l’excès ainsi qu’une certaine incompréhension face à leur travail.
Par exemple, Modigliani se considérait plus comme un sculpteur que comme un peintre. Mais personne ne voulait de ses sculptures. Il finira par les détruire presque toutes… Morisset a trouvé dans la photographie son plus important défi. Sa façon de la pratiquer sera sa trouvaille la plus stimulante de sa longue carrière d’artiste. Pourtant comme Amadeo, ce qui aurait dû le propulser n’a pas retenu l’attention. Pas assez. Un et l’autre finiront par délaisser la pratique qui les stimulait le plus pour passer à des pratiques artistiques plus acceptées.
Denys avait un talent naturel pour le dessin et la peinture. Son esprit créatif était aventurier et audacieux. Il n’hésitait pas à avancer dans les sentiers peu fréquentés. Comme ce fut le cas pour la photographie anamorphique à une époque où les logiciels de traitement de l’image étaient encore inaccessibles. Les précurseurs de l’anamorphose en peinture ou en photographie étaient peu nombreux et plusieurs avaient disparu de la surface du globe quand Denys Morisset a développé sa propre approche. Inspiré de son métier de peintre et de photographe qu’il est devenu. Il en a fait une expression métissée captant le meilleur de chacune des deux techniques. Le résultat est fantastique et impressionnant. Transporté par l’esprit du surréalisme, le même qui a inspiré (et inspire encore) les créateurs les plus dominants de la modernité, Denys Morisset a questionné la forme, l’esthétisme et la réalité avec beaucoup de sensibilité et de liberté. Surtout avec un métier parfaitement maitrisé. Il a même réalisé un film anamorphique avec Paul Vézina, Mémoire liquide, qui sera présenté en grande première à l’exposition universelle d’Osaka, au Japon en 1970. Alors, comment expliquer que cet aspect de ses recherches plastiques-photographiques soit passé sous le radar des collectionneurs, des commissaires, des grandes institutions ?
Il était au mauvais endroit au mauvais moment. Il n’était plus présent dans les cercles d’influences. Il trainait aussi une réputation de mauvais garçon… En effet, Il ne s’était jamais gêné pour écorcher les élites de la Haute-ville de Québec pour qui l’art et les artistes devaient s’en tenir à l’étiquette. Denys Morisset la connaissait très bien cette étiquette. Il n’en voulait pas. Denys était un rebelle qui pouvait être cinglant et sarcastique. Et puis son talent étouffait dans cette ville alors plus provinciale que dynamique telle qu’on la connait aujourd’hui. Il lui aurait fallu la quitter pour se faire connaitre là où s’animaient les cercles d’influences majeurs. De plus, il n’avait ni marchand ni galerie préférant s’occuper lui-même de sa diffusion. Denys Morisset a développé une aversion pour les marchands d’art. Qui, quoiqu’on en pense encore aujourd’hui à l’ère de l’internet, étaient et sont toujours des acteurs déterminants dans la carrière d’un artiste. Il n’a jamais, ou n’a jamais voulu rencontrer son Paul Guillaume . Celui qui permit à Amadeo Modigliani d’être celui que l’on reconnait aujourd’hui.
Imaginé un écrivain de l’importance de Michel Tremblay s’autoéditer ? Ou un Jean Paul Riopelle tenant lui-même les rênes de sa carrière ? Et si Modigliani était demeuré à Livourne, une ville provinciale sur les rives de la Méditerranée en Italie ? Et s’il avait envoyé paitre Paul Guillaume ?
L’œuvre de Denys Morisset ne se limite pas à la photographie anamorphique. Prolifique il a réalisé plus de 3 000 œuvres. Parmi elles on retrouve ses dessins à la chandelle qu’il baptise, Humografie. Un écho fait main de ses recherches en photographie anamorphique. Ces dessins n’ont pas, eux non plus, reçu un accueil à la hauteur du résultat. Pourtant les œuvres qu’il a réalisées avec cette technique démontrent toute la pertinence créatrice de son talent.
Denys Morisset n’est pas non plus resté reclus. Pendant plusieurs années il a été de toutes les tribunes. Il a été le sujet de nombreux articles dans les journaux. Il a enseigné et donné des conférences dans plusieurs institutions d’enseignement d’importances. Il connaissait tous les critiques et les journalistes d’influence de son époque. Il avait ses entrées dans les médias spécialisés les plus importants. Il était souvent interviewé à la télévision. Le Musée du Québec possède plusieurs de ses œuvres. Mais Denys n’a jamais non plus ménagé ses alliés. Alors…
L’œuvre de Denys Morisset on l’a vu est vaste. Elle touche plusieurs médiums. Si ses photos et ses dessins à la chandelle étaient plutôt destinés à un public averti, ses tableaux fort nombreux témoignent d’un esthétisme qui déborde la séduction sans pour autant la nier. Denys aimait et recherchait la beauté. Son dessin était voluptueux. Grand coloriste il créait des harmonies d’une efficacité remarquable. Là aussi, son esprit créatif l’amenait à explorer, à inventer. C’est ainsi qu’il délaisse le pinceau traditionnel pour le rouleau au milieu des années 1970. Mais attention, peindre avec un rouleau pour Denys Morisset n’avait rien à voir avec le tracé de bandes de couleurs… Denys Morisset maniait le rouleau sur la toile avec grâce et sensibilité. Cette approche picturale correspond à l’époque la plus riche de sa carrière comme peintre soit entre 1975 et 1985. C’est alors qu’il atteint un niveau d’esthétisme digne des plus grands peintres.
Pourtant encore aujourd’hui son œuvre, qu’importe le médium ou la période, n’attire pas toute l’attention qu’elle le devrait. Cependant, nous en parlons encore plus de trente ans après son décès. Mais pourquoi donc ? À cause de la qualité, de la quantité et aussi par la solidité des liens d’amitié qu’il entretenait avec Pierre Bernier. À sa mort, précisément 70 ans et un jour après celle de Modigliani, il lui a confié la tâche ingrate de garder son œuvre vivant. Pierre Bernier a relevé le défi avec brio. Il a sauvegardé la mémoire et la trace de ce grand artiste. La présente exposition présentée à Baie-Saint-Paul en témoigne. Il est temps que l’œuvre de Denys Morisset trouve enfin sa place, au sommet.
Rappel de l’exposition :
Denys Morisset, 1930 – 1990, jusqu’au 17 mars 2024 au Carrefour culturel Paul-Médéric, au 4 rue Ambroise-Fafard, à Baie-Saint-Paul, Charlevoix, QC –418 806-5738.
Robert Bernier