L’intensité discrète
Le peintre Roger Cantin est décédé le 31 mai dernier. J’aimerais par ce court texte rendre hommage tant à l’homme qu’au peintre. J’ai eu le privilège de le rencontrer « les deux » à plusieurs reprises et toujours, sa personnalité me fascinait. Sobre, discret, voire effacé, il était un fabuleux observateur et un être animé d’une grande curiosité pour les petites choses. Vous savez, celles qui semblent sans importance, mais qui portent les traces des âmes qui les ont conçus ou simplement croisés un jour. Je pense tout particulièrement aux objets qu’il recherchait dans les brocantes ou aux maisons de son quartier de Charlesbourg qu’il arpentait sans relâche et toujours avec le même plaisir. Il avait en lui une sérénité troublée et les artifices de l’existence ne l’impressionnaient guère.
Sa discrétion légendaire côtoyait sa peinture. Elle la nourrissait. Les gris dominant cachaient une palette bien plus large, mais, elle demandait pour être observé beaucoup d’attention, du respect. Certes, elle n’avait rien de spectaculaire, tout était rabattue. Pourtant. Pourtant quelle intensité il en émanait.
Sa peinture a connu un succès important dans les années 80 et 90. Le succès est cependant venu malgré lui, le prenant à rebrousse-poil, les amateurs et les collectionneurs ayant exercé, par leur enthousiasme, une pression qui ne lui laissait guère le choix. C’est ainsi que ses paysages urbains des alentours du Trait-Carré, prennent vie sous une palette dominée par le gris, et lentement, mais sûrement ils se sont taillé une place enviable dans l’univers pictural d’ici. Les perspectives tronquées et les larges aplats qui asservissent les demi-tons, les scindant ou les unissant au gré de son inspiration, sont autant d’éléments de son œuvre qui élèvent sa peinture vers cette délicate fébrilité qui constitue sa marque distinctive.
Soyez assuré que sa peinture demeurera vivante, car elle témoigne d’un talent unique. Bien sûr, nous sommes à des lieux de la modernité débridée. Bienvenu dans un univers de demi-tons qui traduit avec éloquence la vie et ses mystères. Pas de discours, mais un questionnement profond essentiellement animé par l’observation. Une observation qui amène la réflexion par la place des choses et des formes dans l’espace pictural. Une préoccupation demeurée vivante chez lui, et qui par ricochet, questionnait la nature du temps… Ce grand inconnu et aussi son meilleur ami.
Au revoir M. Cantin
Robert Bernier