Un grand homme, un grand collectionneur
(afin de souligner le décès de Monsieur Lamarre voici un article publié en 2009 dans Parcours)
Bernard Lamarre est un personnage imposant dans tous les sens du terme. Né en 1931, il en a fait du chemin. Ingénieur, il a été un des grands bâtisseurs du Québec. Ses réalisations sont aussi nombreuses qu’imposantes. Il a participé activement à la réalisation du pont-tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine, la tour du 1000 De La Gauchetière et l’autoroute Ville-Marie en sont quelques-unes, mais il y en a beaucoup d’autres ici au pays comme à l’étranger… Homme de visions (remarquez le recours au pluriel), il devient le président de Lalonde, Valois, Lamarre, Valois en 1962, puis, en 1972, le PDG de Lavalin.
L’implication de Bernard Lamarre dans le milieu des arts visuels québécois a été déterminante à plus d’un égard. Il commence à s’intéresser aux arts visuels en 1950, lors d’un séjour touristique en Europe, en fait, un voyage d’étudiant, le premier organisé après la guerre. Il a 19 ans. C’est à cette occasion qu’il rencontre celle qui allait devenir sa femme, Louise Lalonde, une jeune étudiante en soins infirmiers, fille de Jean-Paul Lalonde, ingénieur et copropriétaire de la firme Lalonde et Valois. Ils se marient en 1952, la même année où il obtient son diplôme de l’École Polytechnique. C’est également l’année où il reçoit une bourse du gouvernement Britannique, et part avec sa jeune épouse pour l’Angleterre, où il fera sa maîtrise en ingénierie. Le couple ne reviendra au Québec qu’en 1955, année où son beau-père lui offre un emploi dans son entreprise.
Son intérêt pour les arts a débuté sous l’influence de sa conjointe qui, déjà toute jeune, était passionnée d’art. Dès leur rencontre en 1950, ils visitent ensemble tous les musées possibles. Ils partageront cet intérêt et élaboreront à deux une collection de haut niveau d’art québécois, mais aussi international, en faisant dans les années 80 l’acquisition entre autres d’œuvres de Pierre Soulages et de Pablo Ruiz Picasso.
La Collection Lavalin
La Collection Lavalin débute lentement en 1967, puis les acquisitions s’accumulent pour atteindre en 1977 plus de soixante-quinze œuvres. C’est également en 1977 qu’elle prend son véritable envol avec l’adoption d’une politique d’acquisition et l’embauche de Léo Rosshandler au poste de conservateur. « Fondamental, nous confiait à l’automne 2000 Bernard Lamarre, la venue de Léo Rosshandler aura été un point tournant pour la collection. Pour un collectionneur, qu’importe qu’il s’agisse d’un individu ou d’une entreprise, un conseiller, c’est vital. »
Chez Lavalin, on ne s’intéresse qu’aux artistes contemporains et vivants, afin de jouer aussi un rôle proactif dans la société. « On voulait encourager les artistes de leur vivant et contribuer ainsi de manière tangible à leur carrière, à leur cheminement. C’était un choix qui transcendait la seule dimension spéculative, souvent associée à la collection et à l’acquisition d’œuvres d’art. Par ailleurs, nous désirions que nos employés s’interrogent sur l’art. Les œuvres étant exposées dans leur bureau, chacun avait le loisir d’aller au-delà du seul aspect décoratif. En stimulant leur questionnement sur l’art, nos ingénieurs étaient sujets à entreprendre, si cela n’était déjà fait, une interrogation plus générale sur d’autres aspects de l’activité humaine. Finalement, ce processus était susceptible d’améliorer non seulement les conditions de travail, mais aussi le rendement de chacun et de l’entreprise », explique Bernard Lamarre en entrevue1.
La présence de Lavalin se fait sentir dans tout le milieu des arts visuels. Ainsi, les artistes et les galeries bénéficient d’un allié de taille, qui plus est donne l’exemple à d’autres par son dynamisme. Mais il y a un revers. Quand l’entreprise se retrouve dans de grandes difficultés financières, tout le milieu est en commotion. Non seulement elle ne fait plus d’acquisition, mais sa superbe galerie, inaugurée en 1987, cesse ses activités. Pire encore, la faillite de Lavalin jette une douche d’eau froide sur les galeries d’art spécialisées en art contemporain, dont plusieurs fermeront peu après leurs portes; une cause directe ou indirecte, c’est selon. Tout le milieu est affecté. Et comme le malheur n’arrive jamais seul, on menace de dilapider la collection dans des encans publics. Comme il s’agit d’artistes vivants, une véritable hécatombe financière s’annonce ainsi pour eux. N’oublions pas que nous sommes en 1991, en pleine crise économique, ce qui n’arrange rien pour personne. Finalement, c’est le Musée d’art contemporain qui fera l’acquisition des œuvres de la collection Lavalin, avec l’aide du gouvernement, ce qui lui permettra de garder son identité propre. Nous sommes en 1992.
Le Musée des beaux-arts de Montréal
La nomination de Bernard Lamarre au poste de président du conseil d’administration du Musée, en 1982, propulsera cette institution en perte de vitesse, alors plus axée sur le passé que l’avenir, sur des rails modernes qui la mèneront vers de nouveaux sommets. Son mandat consiste entre autres à amener du financement au musée et à de mettre de l’avant différents grands projets. Il y a beaucoup de « Bernard Lamarre », quand on inaugure le Pavillon Jean-Noël Desmarais en 1991. Cet agrandissement lui donnera enfin les moyens de ses ambitions. La liste de ses faits d’arme au Musée des beaux-arts serait trop longue à énumérer. Pour simplifier, toutes les transformations majeures du Musée ont été un cheval de bataille de Bernard Lamarre, y compris la constitution du conseil d’administration, le fer de lance de la vitalité économique de l’institution. En 2008, il délaisse ses fonctions. On le nomme président honoraire. Mais ce n’est pas un homme capable de prendre sa retraite et s’il dit qu’il ne fait plus d’acquisition d’œuvres d’art, il ne peut pas vraiment s’empêcher d’en faire, c’est dans sa nature…
1- Entrevue réalisée à l’automne 2000